CERCC
 

Inauguration exposition Suzanne Doppelt : 1er mars 2012

« Le cir­cuit atmo­sphé­ri­que » du 2 mars au 23 mars 2012 à la Galerie « La Librairie » de l’ENS Lyon, site Descartes.

Inauguration jeudi 1er mars 2012 à 18h.

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Suzanne Doppelt a exposé ses pho­to­gra­phies dans divers lieux parmi les­quels le Centre Pompidou à Paris, l’Institut fran­çais de Naples, la fon­da­tion Royaumont, la gale­rie Pennings à Eindhoven, l’uni­ver­sité de New York, la gale­rie Martine Aboucaya, le musée du Louvre.

Elle dirige la col­lec­tion « Le rayon des curio­si­tés » chez Bayard et fait partie du comité de rédac­tion de la revue Vacarme.

Suzanne Doppelt a été l’invi­tée de Corinne Bayle & Éric Dayre, dans le cadre du sémi­naire « Stations d’arts poé­ti­ques » du CERCC, le mer­credi 8 février 2012.

Son tra­vail asso­cie de manière étroite lit­té­ra­ture et pho­to­gra­phie.

Elle a publié plu­sieurs livres aux éditions P.O.L. : Totem (2002), Quelque chose cloche (2004), Le pré est véné­neux (2007), Lazy Suzie (2009).

extrait de La plus grande aber­ra­tion, à paraî­tre chez P.O.L au prin­temps

s’il va dehors même le chien peut ren­contrer le bâton, simple et double, à usage chan­geant pour regar­der le monde, c’est un jouet ou bien une fibre opti­que. La nature en est un, magi­que et pétri­fié, une bran­che taillée, finie, une antenne en bois et en Y qui tourne puis file vers le haut et vers le bas quand elle est tout près de l’eau. Et si on l’y plonge droit au dessus en des­sous, et courbé la raison le redresse, on voit à l’inté­rieur du super flux et du reflux, un joli tour­billon qui se forme autour, un agen­ce­ment propre à rendre la mesure de toutes choses, une drôle d’expé­rience. Comme celle de la fourmi qui le prend pour un chemin de cam­pa­gne, celle du phasme qui en devient un, un bâton ou alors une sacrée brin­dille, et tombe dans un som­meil pro­fond, il fait le mort les yeux éteints, fixes et tour­nés pareils à ceux d’une statue, s’allume une petite lumière au milieu de sa cham­bre aveu­gle. Il cher­che une chose et en ren­contre une autre, on ne peut se réveiller avant que les yeux soient de retour ou d’avoir un bâton au bout des doigts, un tube à vide, et le bon­homme allu­mette danse un ballet aux effets stu­pé­fiants en cou­rant continu et chante inar­ti­culé le grand poème des liga­ments et des join­tu­res. Il suit les traits de l’ombre qui des­si­nent une figure sur le mur comme sur le tableau noir, il est le scribe de la nature, magi­que et pétri­fiée, qui trempe sa plume ici et là, dans la pein­ture, la cire et dans la pâte à mode­ler, un vrai jouet, une super fibre opti­que

extrait de La plus grande aber­ra­tion, à paraî­tre chez P.O.L au prin­temps

c’est midi dans la cham­bre, l’heure sans ombre où per­sonne ni vivants ni morts n’en pro­jet­tent, ou bien minuit quand tout revient, dans les coins, sur la table et dans ses pieds, sous la main aiman­tée qui arron­dit les angles d’un côté et divise toute la hau­teur du livre de l’autre en extrême et moyenne raison. Son visage égaré et plein de lan­gueur est un masque qui s’ouvre, en laisse voir un second, celui de son voisin à qui le tableau revient, il s’invente une nou­velle face sans traits par­ti­cu­liers, une image égale à son double, celui reflété du pein­tre, jacopo, ou de tel autre, c’est une folie à plu­sieurs. Des sosies, des jumeaux, une répli­que, la chose se mani­feste rare­ment seule, un drôle d’écho quoiqu’il arrive, à la voix blan­che, une idée du son en basse conti­nue qui résonne de loin en loin dans le pay­sage à demi coloré. Guido est comme tombé de la lune sans un bruit, pâle, les yeux brillants tour­nés au dehors, il est un oiseau de nuit avec ses plumes bien ran­gées, le grand duc d’urbino qui se tient si gen­ti­ment der­rière, mimé­ti­que. L’ombre portée du mort-vivant et ce calme inquié­tant qu’elle pro­duit sou­vent, sen­ti­nelle, où en est donc la nuit et son théâ­tre, entre veille et som­meil, celui qui regarde long­temps les songes en devient une, d’ombre, pro­je­tée mais tel­le­ment conforme à l’ori­gi­nal, un oiseau égal à tout heure, dont les yeux oran­gés ne mon­trent aucun mou­ve­ment, plus les ailes de l’augure

extrait de La plus grande aber­ra­tion, à paraî­tre chez P.O.L au prin­temps

muni de son bâton qui ne vibre ni ne pro­duit aucun son, luca muti­que indi­que sans aucune manière, il ne dit ni ne cache, c’est une passe magné­ti­que qu’il réa­lise au moyen de son 6e doigt, une bran­che bien taillée, avec électricité, sans appa­reil, avec la main, il fixe, les yeux au bout, tout ce qu’il faut pour faire un monde. Aussi vide que son regard qui tra­verse une forme si légère et flot­tante, pareil au reflet d’un corps dans une glace, la voyant sans la voir, sourd et à moitié aveu­gle, sa tige opti­que aux effets stu­pé­fiants, glis­sée entre le pouce et l’index, la radio­ac­ti­vité est dans l’air de la cham­bre pour eux deux, luca et son état de cons­cience modi­fié, guido, son émanation pré­fé­rée. Son pou­voir est très grand, il est une machine à pro­je­ter hors de lui ses pen­sées et plus encore, cette sub­stance vitri­fiée, tirée au trait, 96 au moins, vague et lumi­neuse, un ancê­tre pho­to­gra­phié qui pour­rait bien être euclide lui-même ou alors une sou­coupe du futur, le reflet d’un rêve à venir trente huit ans plus tard et qui défie toutes les lois de la pesan­teur. Luca est un auto­mate inquié­tant, un super medium passé maître en fan­tas­ma­go­rie et ce n’est ni léo­nard ni jacopo sans doute qui ont posé là cette figure vague et lumi­neuse, mais lui seul, le reve­nant qui en pro­duit à son tour, cette cage spec­trale passée aux rayons x aussi aigus que l’est son œil à moitié éteint, capa­bles de faire briller tous les objets et de rendre la vue aux aveu­gles

extrait de Le pré est véné­neux, P.O.L, 2007

cer­tai­nes nuits sont moins noires que d’autres, lune double, ciel nei­geux, une mul­ti­tude lui­sante dont les arbres qui bor­daient la rivière étaient si cou­verts qu’ils res­sem­blaient à des lus­tres. Le pré est magné­ti­que, s’y pro­me­ner quand le jour tombe sur le beau tapis odo­rant est un plai­sir. Dans l’air des mou­ches volan­tes – une affec­tion de la vue et des vers inconnus qui brillent dans le noir, cli­gnent vers l’argent, ils ser­vent de phare aux marins. Mais un bateau a été coulé, il laisse un long sillage. Un rayon sort de l’oeil comme une antenne, on voit sur quoi il tombe, on ne voit pas sur quoi il ne tombe pas, le pré s’enfonce un peu plus dans le noir. Parfois un éclair ou alors une éclipse, il s’illu­mine : la lumière varie, crée des éclairages inter­mé­diai­res, les ombres volan­tes aug­men­tent, l’atmo­sphère se colore autre­ment, les plan­tes et les ani­maux sont influen­cés, l’hori­zon change d’appa­rence. Puis la lune com­mence à sortir de la pénom­bre, un spec­tre continu ou en bandes colo­rées, elle la quitte et reprend tout son éclat. C’en est un, un targui blanc, muet et impas­si­ble, je le reconnais à sa façon de mar­cher. Dans le pré, le cham­pi­gnon fait de la lumière, le tour­ne­sol la cher­che et dans la rivière, le zoo planc­ton et la raie électrique pro­dui­sent des déchar­ges vio­len­tes. Le peu de lumière ondule, glisse à tra­vers l’air et sur la sur­face calme de l’eau ou bien vole comme les gout­tes pro­je­tées par le tuyau d’arro­sage. C’est l’heure la plus dif­fi­cile pour conduire, le pré serait-il un champ rempli de poudre à canon ?

extrait de Le pré est véné­neux, P.O.L, 2007

sur une bille coupée en deux, il peint son visage, homo bulla, l’homme bulle, fixé comme une mouche sur le car­reau ou une goutte, de pluie ou autre. Micro glaces qui reflè­tent défor­més le soleil, un disque de verre qui ren­voie bien la lumière, la lune, les nuages, les cou­leurs au mer­cure, une eau métal­li­que très lisse, soleils dou­bles, tri­ples, une pluie en déverse autant que de gout­tes. Tout verre nous guette et la glace, le métal, l’eau, l’air, etc. attra­pent au moins les bords, madame lux éveillée, endor­mie dans sa cham­bre, made­moi­selle de veh et son amie, ce qui le mérite peut être dit deux trois fois et plus par­fois. Il est là, à peine indi­qué, mêmes che­veux pâles, un peu courbé, même sil­houette pro­fi­lée et mobile, pareil et de taille et de face, dans des zones tran­sit, car­re­four, salle d’attente, ter­rain vague, mais quel­que chose cloche, une légère mise au point et pfutt ! rétro­vi­sion, ça éclate comme une bulle, vision zéro. Ou il se regarde et voit autre chose à la place, la mer exté­rieure, des bateaux au-delà de l’hori­zon - le sloop-fan­tôme dans un éclair, des lunes et des soleils mul­ti­ples, des sou­ve­nirs, un homme changé en chèvre ou rien. Personne ne l’avait vu venir, toute l’étendue de la cham­bre plus les meu­bles y étaient sauf lui, hors champs, ni à l’envers ni à l’endroit, sans tain, trans­pa­rent. Si tu le vois, tu ne le verras plus, qui se regarde à minuit dans une eau sale ou tout près d’une lampe, perd son reflet ou devient laid. Pour que l’âme, ani­male et autre, ne reste pas cap­tive, qu’un chat se pré­sente d’abord

extrait de Le pré est véné­neux, P.O.L, 2007

extrait de Le pré est véné­neux, P.O.L, 2007

le matin comme on prend une vita­mine, il lui glisse la for­mule sous la langue et la lui retire le soir, entre les deux il devient homme à tout faire, la cui­sine, sonne les clo­ches - l’oreille en est une, lave le sol. Le matin il prend forme nua­geuse avec un vague relief, le soir la matière rouge, argile et rubri­que, se défait, il est une motte de terre. Un jour il l’oublie, il s’en va et vit sa vie, par les sales che­mins cou­verts de tas et d’orniè­res, faits de nuan­ces et de brus­que­ries, d’attrac­tions et de dis­trac­tions, bute sur les tiges, les fibres, comme une figure sem­bla­ble à un vivant en marche. Machine sans parole rou­lant pieds d’argile et mains confon­dus, rouge, aussi fine que de la farine, imper­méa­ble et plas­ti­que, son corps est celui d’un humain modi­fié, il sert de char­pente aux hyper-voxels. Il croise madame pick, madame hoek, madame clé­pé­tar­che, pla­cées à une table ronde sous les étoiles et la lune, en grande conver­sa­tion, j’aime autant des petits crois­sants rititi, barbe rouge, barbe verte, étoiles de toutes sortes rititi rititi. Mais ce n’est pas tout, la machine est deve­nue folle, les sta­tues admi­ra­bles à contem­pler ont un vide à la place du cœur, il faut ren­trer. C’est la pensée qui le télé­guide, il revient par les sales che­mins cou­verts de tas et d’orniè­res, faits d’attrac­tions et de dis­trac­tions, de nuan­ces et de brus­que­ries, bute sur les tiges, les fibres. Puis la for­mule moins une lettre le rend informe, l’argile et rubri­que se bri­sent comme verre et tout verre nous guette, les sta­tues dou­bles meu­rent aussi