CERCC
 

La beauté idéologique. La part du beau dans les œuvres de propagande

La beauté idéo­lo­gi­que. La part du beau dans les œuvres de pro­pa­gande

Organisation : Jérôme Bazin (Université Paris-Est Créteil) et Marie Frétigny-Ryczek (ENS Lyon, CERCC)

Lieu : ENS Lyon Salle Dutilleux

10h00-10h45. Jérôme Bazin et Marie Frétigny, Introduction

11.00 : L’embar­ras face à la beauté dans la pro­pa­gande socia­liste.

11.00-11.15 : Ana Hornedo (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), Le beau enca­dré dans l’art mural du Mexique post-révo­lu­tion­naire (1920-1940).

11.15-11.30 : Anastasia Simoniello, La beauté chez les Progressistes : une esthé­ti­que dictée par l’éthique ?

11.30-11.45 : Frederic Le Gourierec (Université de Poitiers), La morale de l’art offi­ciel chi­nois au XXe siècle et ses raci­nes : aca­dé­misme, beauté, pro­pa­gande.

11.45-12.45 : dis­cus­sion

13.00-14.00 : déjeu­ner

14.00- La pas­sion fas­ciste pour la beauté

14.00-14.15 : Cristina Casero (Università degli Studi di Parma), La Casa del Fascio de Côme : la beauté comme com­mu­ni­ca­tion du pou­voir.

14.15-14.30 : Elena di Raddo (Università Cattolica del Sacro Cuore, Milano), Mythe, ori­gine et médi­ter­ra­néité aux raci­nes du beau dans l’art au ser­vice du fas­cisme.

14.30-14.45 : Lucia Piccioni, Représentations de l’« homme nou­veau » durant la période fas­ciste en Italie (1922-1943) : débats sur la « race » ita­lienne et repré­sen­ta­tions de la beauté « ita­li­que ».

14.45-15.00 : Martin Vollberg, La démo­li­tion pour la « belle vue » et la « race puri­fiée ».

15.00-16.00 : dis­cus­sion

16.00-17.00 : Séverine Antigone Marin (Université de Strasbourg). Remarques conclu­si­ves.

La jour­née est orga­ni­sée avec le sou­tien de la région Rhône Alpes, dans le cadre de son pro­gramme CMIRA

ARGUMENTAIRE « Beauté idéo­lo­gi­que » : la part du beau dans les œuvres de pro­pa­gande. Le ving­tième siè­cle des idéo­lo­gies a vu se dé­ve­lop­per l’acti­vi­té de « pro­pa­gande », mise en place par des partis, des orga­ni­sa­tions ou des États, qu’ils soient dic­ta­to­riaux ou dé­mo­cra­ti­ques. L’image de pro­pa­gande se dé­fi­nit par sa mis­sion fon­da­men­tale : convain­cre et faire faire, sus­ci­ter une idée, une vision du monde, et conduire à agir. Pensée pour attein­dre le plus grand nombre, elle est cen­sée avoir une effi­ca­ci­té directe auprès des masses et elle a pu puiser dans tout l’éven­tail des formes dis­po­ni­bles pour y par­ve­nir. Or, face à la pro­pa­gande, la ques­tion de la beau­té res­sur­git ré­gu­liè­re­ment, que ce soit du côté de la pro­duc­tion, de la ré­cep­tion ou encore de la dif­fu­sion de ces images. Chez ceux qui réa­li­sent les images, l’objec­tif de pé­da­go­gie s’accom­pa­gne sou­vent d’une exi­gence esthé­ti­que. Pour le Mexicain David Siqueiros, le but suprême de l’art est de « créer la beau­té pour tous, la beau­té qui éclaire les esprits et pousse à la lutte », comme il l’exprime dans son mani­feste de 1922. Chez ceux qui sont char­gés de dif­fu­ser les œuvres, la même ques­tion appa­raît. Par exem­ple, les œuvres pri­mées par le Premio Cremona, concours artis­ti­que créé en Italie en 1939 pour encou­ra­ger les talents fas­cis­tes émer­gents, ne sont pas tou­jours aussi bien relayées qu’elles étaient sup­po­sées l’être, car cer­tains digni­tai­res du ré­gime mus­so­li­nien sont peu convain­cus par leurs qua­li­tés plas­ti­ques, mal­gré un contenu poli­ti­que irré­pro­cha­ble. Chez ceux qui regar­dent les images, la ques­tion est éga­le­ment sou­le­vée. Ainsi, dans l’Allemagne de l’Est de 1950, face à une affi­che qui leur dé­plaît et qu’ils pren­nent soin de dé­crire, des syn­di­ca­lis­tes écri­vent : « nous ne vou­drions pas nous attar­der sur la réa­li­sa­tion tech­ni­que, nous sommes de sim­ples pro­fa­nes, mais notre sens de la beau­té (Schönheitsgefühl) a été bles­sé par la gros­siè­re­té des traits, qui sont par­ti­cu­liè­re­ment mal des­si­nés ». D’où le ques­tion­ne­ment au cœur de cette jour­née : pour­quoi et com­ment la caté­go­rie du beau est-elle mobi­li­sée lors des acti­vi­tés de pro­pa­gande ? Il s’agit de ré­flé­chir aux maniè­res dont l’arti­cu­la­tion entre pro­pa­gande et beau­té a été posée dans dif­fé­rents ré­gi­mes et dif­fé­rents contex­tes idéo­lo­gi­ques, cultu­rels et sociaux. C’est le point de vue des acteurs impli­qués qui nous inté­resse : il ne s’agit évi­dem­ment pas de for­mu­ler un juge­ment, de tran­cher la ques­tion, peu per­ti­nente à notre avis, de savoir si telle œuvre de pro­pa­gande est belle ou pas, mais de com­pren­dre com­ment, par qui et pour­quoi de tels juge­ments ont pu être for­mu­lés. De cette inter­ro­ga­tion pre­mière dé­coule une série de ques­tion­ne­ments qui seront autant de pistes abor­dées au cours de la jour­née. Ainsi nous vou­lons inter­ro­ger les condi­tions pré­ci­ses de for­mu­la­tion des juge­ments, iden­ti­fier le plus pré­ci­sé­ment pos­si­ble les acteurs en pré­sence et éclai­rer les contex­tes d’énon­cia­tion. C’est la parole en situa­tion que nous vou­lons saisir. Dans la plu­part des ré­gi­mes ici évo­qués, parler des œuvres à contenu poli­ti­que et de leurs qua­li­tés plas­ti­ques n’est pas sans risque. Les dis­cus­sions s’ouvrent et se refer­ment selon les contrain­tes poli­ti­ques. Il est donc essen­tiel de connaî­tre le cadre dans lequel les argu­ments sont énon­cés. S’inté­res­ser à la part du beau est éga­le­ment une manière d’atti­rer l’atten­tion sur la réa­li­té des images, trop sou­vent ana­ly­sées du seul point de vue docu­men­taire ou sé­mio­ti­que, et sur les regards qui ont été por­tés sur elles. Être à l’écoute des argu­ments sur ce sujet nous conduit à nous rap­pro­cher du regard, qu’il s’agisse du regard expert du connais­seur d’art dans un musée, du regard aléa­toire d’un groupe amené dans une expo­si­tion iti­né­rante, du regard furtif de la foule pas­sant devant des affi­ches pla­car­dées sur les murs, du regard dis­trait du lec­teur qui ouvre un jour­nal et y trouve une image. Quand ils évo­quent la beau­té des œuvres, les acteurs par­lent de ce qui retient leur atten­tion, de ce qui capte le regard, de leur façon d’entrer dans une image, de leur sen­si­bi­li­té à telle forme ou à telle cou­leur, de ce qu’ils ont l’habi­tude de voir, de leurs atten­tes. Ce ques­tion­ne­ment permet en outre de repen­ser dans une pers­pec­tive his­to­ri­que la fron­tière entre art et pro­pa­gande, fron­tière qui est très pré­sente dans les esprits aujourd’hui et qui l’a aussi été dans le passé. En lisant les archi­ves, l’his­to­rien est en effet sans cesse confron­té à la dis­tinc­tion ; même dans les ré­gi­mes qui ont cé­lé­bré la pro­pa­gande comme l’URSS ou l’Allemagne nazie, une hié­rar­chie sub­sis­tait, qui met­tait l’art au dessus de la pro­pa­gande. La façon dont ces deux enti­tés sont dé­fi­nies et mises en rap­port évo­luent selon les pé­rio­des et les contex­tes. Les dis­cours sur le beau sont un moyen d’obser­ver la cons­truc­tion de cette dis­tinc­tion. Quelle poro­si­té observe-t-on dans les dis­cours esthé­ti­ques entre ce qui est cons­ti­tué comme art et ce qui est pensé comme pro­pa­gande ? Enfin, s’inté­res­ser à ces pro­blè­mes, c’est aussi repo­ser la ques­tion d’une caté­go­rie trop sou­vent élu­dée pour l’his­toire de l’art du ving­tième siè­cle : la beau­té. Dans un récit cen­tré sur les avant-gardes et néo-avant-gardes, le mot de beau­té appa­raît dé­suet, inop­por­tun pour rendre compte d’objets et de pra­ti­ques artis­ti­ques qui s’en seraient dé­li­vrés. Le terme, comme les nom­breu­ses dis­cus­sions phi­lo­so­phi­ques qui l’ont accom­pa­gné, appar­tien­drait au passé. Mais, d’une part, l’his­toire de l’art du ving­tième siè­cle est plus large que la simple his­toire des avant-gardes et, d’autre part, même au sein des avant-gardes, la notion mé­ri­te­rait d’être réé­va­luée. Partir d’objets au statut com­plexe comme le sont les œuvres de pro­pa­gande per­met­trait d’ouvrir un pan de ce chan­tier. C’est donc cette part du beau dans les images de pro­pa­gande que nous vou­lons inter­ro­ger, dans une pers­pec­tive d’his­toire et d’his­toire de l’art. Le but de cette jour­née d’étude n’est pas d’offrir un pano­rama sup­plé­men­taire des acti­vi­tés de pro­pa­gande au ving­tième siè­cle, ni de ré­ha­bi­li­ter des œuvres mais de recons­ti­tuer les argu­ments et inter­ro­ga­tions for­mu­lés à ce sujet par ceux qui réa­li­sent des œuvres de pro­pa­gande, par ceux qui l’orga­ni­sent ou encore, quand les archi­ves le per­met­tent, par ceux qui les reçoi­vent. Car la pro­pa­gande, alors qu’elle se pré­sente comme sûre d’elle-même, est tra­ver­sée de doutes, d’hé­si­ta­tions, de dé­bats, y com­pris dans des ré­gi­mes poli­ti­ques où l’échange d’idées est sur­veillé. L’image, par nature équi­vo­que, peut servir de ré­vé­la­teur à ces ter­gi­ver­sa­tions. La jour­née se tien­dra à l’ENS de Lyon le 7 mai 2015 et pren­dra la forme de tables rondes. Elles est orga­ni­sée par Marie Frétigny (ENSLyon, CERCC), Jérôme Bazin (uni­ver­si­té de Paris-Est Créteil) et Séverine Antigone Marin et Alexandre Sumpf (uni­ver­si­té de Strasbourg).