Avec les œuvres symphoniques de Mozart, Haydn, Beethoven, et plus largement, avec l’apparition de la musique instrumentale autonome, c’est la manière de concevoir la signification qui est bouleversée à la fin du XVIIIe siècle : il devient clair que les mots articulés du langage verbal n’ont pas le monopole de la pensée. De très nombreux débats ont alors éclos, pour tenter de penser ce nouveau rapport au sens. Il fallait aussi élaborer un discours qui rende compte des œuvres musicales et de leur force.
Plutôt que de reprendre la question a priori et de manière non-historique, cet ouvrage propose de suivre les débats de l’époque et leurs enjeux : se dessinent alors des sensibilités différentes, selon les époques (entre le début du XIXe siècle et sa fin) et les lieux (France, Angleterre, Allemagne). On s’aperçoit bien vite que la réflexion sur la façon dont on signifie sans les mots précède les évolutions de la poésie et de la peinture au XIXe siècle ; enfin, l’idée d’autonomie de l’œuvre accompagne la pensée politique. Bref, c’est aussi le moment de construire des conceptions de l’être humain fort différentes les unes des autres.
Les mots de « poésie », de « pureté », de « dynamisme », de « sensation », de « forme », reçoivent des acceptions aussi différentes que celles de timbre, de bruit, d’harmonie, de justesse. Une histoire des théories du signe est donc aussi, en creux, une histoire des théories du langage. En fait, c’est l’idée même de ce qu’est une interprétation qui reçoit ainsi des sens bien différents. À l’orée du XXe siècle, les œuvres de Freud ou de Saussure découlent de ces débats autant que celles de Stravinsky ou de Schoenberg, de Mallarmé ou de Van Gogh.
Elle fait également paraître aux éditions Vrin
Berlioz et la scène. Penser le fait théâtral
« Voyez ce corps ! » À la dernière scène de Roméo et Juliette, Capulets et Montaigus, accourus au tombeau, sont face à l’évidence : ce drame est le résultat de leurs vaines luttes fratricides. Dans l’œuvre d’Hector Berlioz, le Père Laurence désigne les deux amants dont ils voient horrifiés que « le sang fume encore ! ». Or, il n’y a aucun corps sur scène puisque Roméo et Juliette n’existent qu’en musique. Pourtant, tout le monde « voit » ce qui n’est pas là.
Ce faisant, Berlioz redécouvre un fondement du théâtre : non pas la vision, mais la croyance en la « présence » de ce qui est absent. Il y est amené par sa musique, narrative et évocatrice comme un roman, capable de faire exister un monde sans aucun support scénique. Ses œuvres explorent ainsi ce qu’est, dans son fondement, l’incarnation théâtrale : le rôle dramatique de la musique, la nature du personnage de théâtre, la valeur du chant face au parler, l’émotion artistique sont totalement repensés. Aventure d’une vie, parcours chronologique aussi bien que logique, son œuvre scénique s’avère prodigieusement novatrice, pressentant le XXIe siècle.
Vrin - MusicologieS 304 pages - 17 × 24 cm ISBN 978-2-7116-2708-0 -
Suivre ces familles de pensée et les conceptions du sujet humain qui sont construites, c’est aussi situer les différents styles musicaux qui éclosent alors. La conscience de leurs enjeux épistémologiques enrichit l’expérience d’écoute ; elle assoit la liberté de chaque auditeur, ouvrant un champ plus large à l’appréciation des œuvres dans leur singularité.
A paraître en décembre 2016