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APPEL : Université de Haute-Alsace Institut de recherche en Langues et Littératures Européennes (ILLE – EA 4363)/ Beyond comparison : interculturality and metacriticism./ Au-delà de la comparaison : interculturalité et métacritique

8 jan­vier 2017 Université de Haute-Alsace Institut de recher­che en Langues et Littératures Européennes (ILLE – EA 4363)

Beyond comparison : interculturality and metacriticism.

Au-delà de la com­pa­rai­son : inter­cultu­ra­lité et méta­cri­ti­que

Comité scien­ti­fi­que  :

Eric Dayre (Professeur, ENS de Lyon)

Nikol Dziub (Post-doc­to­rante, Université de Haute-Alsace)

Florence Fix (Professeure, Université de Lorraine)

Thomas Hunkeler (Professeur, Université de Fribourg)

Greta Komur-Thilloy (Professeure, Université de Haute-Alsace)

Dominique Massonnaud (Professeure, Université de Haute-Alsace)

Chloé Ouaked-Conant (Maître de Conférences, Université de Limoges)

Peter Schnyder (Professeur émérite, Université de Haute-Alsace)

Frédérique Toudoire-Surlapierre (Professeure, Université de Haute-Alsace)

Appel à contri­bu­tions

Projet de volume col­lec­tif, sans jour­née d’étude ni col­lo­que Le propos de ce volume est de repen­ser la théo­rie de la com­pa­rai­son lit­té­raire, inter­cultu­relle et inter­mé­diale en par­tant de cette idée, que la com­pa­rai­son est un acte intel­lec­tuel, cog­ni­tif (la com­pa­rai­son est, cog­ni­ti­ve­ment par­lant, un acte fon­da­men­tal, « gene­ra­li­zed and ubi­qui­tous », qui mobi­lise deux facultés : « abs­trac­tion and com­plexity »[1]) et créa­tif. D’un point de vue cog­ni­tif, la com­pa­rai­son, tout en étant un acte irré­duc­ti­ble à aucun autre, tout en se pré­sen­tant, pour le sujet, comme une voie d’accès ori­gi­nale au monde des objets, sup­pose, pour l’esprit, la capa­cité à concen­trer son atten­tion sur plu­sieurs points dis­tincts, et par consé­quent à penser (à) plu­sieurs choses à la fois.

Notre objec­tif sera d’ana­ly­ser les vertus de la com­pa­rai­son, en par­ti­cu­lier quand elle touche ses limi­tes, et pré­tend les outre­pas­ser. Selon Marcel Detienne, il convient de se libé­rer de cet inter­dit logi­que, qui dit qu’ « on ne peut com­pa­rer que ce qui est com­pa­ra­ble ».[2] En effet, l’incom­pa­ra­ble est autre chose qu’une rela­tion impos­si­ble, il s’affi­che comme une valeur, ou comme une pro­priété. Dès lors, on ne pour­rait com­pa­rer que l’incom­pa­ra­ble : Deleuze, d’ailleurs, décrit dans Différence et répé­ti­tion la com­pa­rai­son comme un acte pur, qui permet de conser­ver des incom­pa­ra­bles.[3] Propice à la com­mu­ni­ca­tion (au sens qu’Habermas donne au terme) inter­cultu­relle aussi bien qu’inter­mé­diale, l’(in)com­pa­rai­son serait donc à la fois un ethos et une éthique. De fait, un cer­tain com­pa­ra­tisme contem­po­rain, qui s’atta­che à pren­dre en compte l’évolution des médiums numé­ri­ques notam­ment, et qui se veut cultu­ra­liste et trans­mé­dial (voir en par­ti­cu­lier l’ouvrage d’Antonio Dominguez-Leiva, Sébastien Hubier et Frédérique Toudoire-Surlapierre, Le Comparatisme : un uni­vers en 3D ?, 2012), pré­tend tra­vailler à « relier le Même et l’Autre ».[4]

Voici quel­ques axes (nul­le­ment exclu­sifs) que nous nous pro­po­sons de suivre :

1. La Comparaison créa­trice. La com­pa­rai­son n’est pas for­cé­ment un acte cri­ti­que. Elle n’est pas néces­sai­re­ment révé­la­trice ; elle peut aussi créer de l’incom­pa­ra­ble. Ne peut-elle pas par exem­ple pré­cé­der ou accom­pa­gner la genèse d’une œuvre lit­té­raire ? Certains com­pa­ra­tis­tes, en tout cas, cèdent à la ten­ta­tion de se faire écrivains et beau­coup d’écrivains (Mme de Staël, Goethe, Hugo, Tourgueniev, Tolstoï, Proust, Gide, Thomas Mann, Virginia Woolf, Sartre, Borges…) se com­por­tent en com­pa­ra­tis­tes dans leurs ouvra­ges à dimen­sion méta­tex­tuelle. Quand Tourgueniev entre­prend de com­pa­rer Hamlet à Don Quichotte, il ne cache pas ce que cette démar­che peut avoir d’incongru : « Shakespeare et Cervantès, se deman­dera-t-on peut-être, quelle com­pa­rai­son peut-on établir entre eux ? » Quant à Thomas Mann, dans son Goethe und Tolstoï (1923), il effec­tue une com­pa­rai­son « croi­sée », il élabore une com­pa­rai­son entre deux com­pa­rai­sons : Goethe/Tolstoï et Schiller/Dostoïevsky. Peut-on dès lors parler d’un com­pa­ra­tisme d’écrivain (comme on parle de la com­pa­rai­son homé­ri­que, ou de la com­pa­rai­son poé­ti­que – pen­sons aux ana­ly­ses hei­deg­gé­rien­nes d’Hölderlin) ? Qu’est-ce que com­pa­rer en roman­cier, en dra­ma­turge, en poète ? Que nous appren­nent les pra­ti­ques créa­ti­ves de la com­pa­rai­son sur la nature de l’œuvre (au sens actif, dyna­mi­que du mot) lin­guis­ti­que de la lit­té­ra­ture ?

2. La Comparaison des arts : l’alter­na­tive, le para­gone, la concur­rence, la sépa­ra­tion. La com­pa­rai­son est en quel­que sorte un trait de (dés)union entre les arts. Chaque art conduit dif­fé­rem­ment à l’Idée, écrit Mallarmé : « la Musique et les Lettres sont la face alter­na­tive ici élargie vers l’obscur ; scien­tillante là, avec cer­ti­tude, d’un phé­no­mène, le seul, je l’appe­lai l’Idée. »[5] Qu’est que la com­pa­rai­son entre les arts et quelle est la place de la com­pa­rai­son dans les arts ? Prenons l’exem­ple de Proust, qui, dans un geste dou­ble­ment méta­tex­tuel, com­pare et dit qu’il com­pare. Pour faire le por­trait de Gilberte, il trouve en effet utile de « pren­dre une com­pa­rai­son dans un autre art ».[6] Quant à La Toison d’or, où Gautier raconte com­ment il s’en va « au pour­chas du blond »[7], n’est-elle pas le résul­tat du désir qui tour­mente son auteur de com­pa­rer la réa­lité à un idéal qui la pré­cède (à savoir la fla­mande aux che­veux d’or) ? La com­pa­rai­son devient alors le pré­texte d’une quête, elle s’accom­pa­gne de l’aspi­ra­tion, non vers un Idéal, mais vers sa réa­li­sa­tion. Se pose aussi la ques­tion de l’évolution des points de com­pa­rai­son. La lit­té­ra­ture se com­pa­rait à la pein­ture avant que la pho­to­gra­phie soit inven­tée, et lui serve de point de com­pa­rai­son mimé­ti­que autant que de repous­soir : « La pho­to­gra­phie a permis de com­pa­rer, c’est-à-dire de faire une science »[8], écrit Émile Mâle dès la fin du XIXe siècle. Mais la com­pa­rai­son, du point de vue de l’éthique artis­ti­que, n’est-elle pas condam­na­ble ? Et que reste-t-il de l’ut pic­tura poesis aujourd’hui ? En quels termes les arts contem­po­rains com­pa­rent-ils, quels cri­tè­res, quel­les pra­ti­ques mobi­li­sent-ils ? Mais d’abord, com­ment la com­pa­rai­son entre les arts fonc­tionne-t-elle exac­te­ment ? Compare-t-on la lit­té­ra­ture à la musi­que comme on com­pare la lit­té­ra­ture à la pein­ture ? Calvin S. Brown, dans Music and Literature – A Comparison of the Arts (1948), pro­po­sait une com­pa­rai­son dia­lec­ti­que entre les deux arts : science et art, har­mo­nie et contraste, thème et répé­ti­tion, motif et fic­tion, des­crip­tion et nar­ra­tion dans la musi­que et musi­ca­lité d’une œuvre lit­té­raire. L’ut pic­tura poesis, en revan­che, appa­raît comme un agen­ce­ment ana­lo­gi­que plutôt que dia­lec­ti­que. La com­pa­rai­son héri­tée de l’ut pic­tura poesis n’est ni théo­ri­que, ni locale. C’est tout le sys­tème de l’écriture qui peut être com­paré à celui de la pein­ture. C’est tout le sys­tème des écrivains qui peut être com­paré à celui des pein­tres – à ceci près que l’esprit com­pa­rant bute par­fois sur un Incomparable, sur ce que Deleuze appe­lait, après Melville, un Original. Cet Incomparable ruine alors le sys­tème de la com­pa­rai­son ana­lo­gi­que/allé­go­ri­que. À la com­pa­rai­son filée ou conti­nuée suc­cède une (in)com­pa­rai­son qui, loin de divi­ser l’artiste en une série de quoi, pour repren­dre la ter­mi­no­lo­gie der­ri­dienne, en fait un qui ina­na­ly­sa­ble. En témoi­gnent ces lignes de Montesquieu : « S’il faut donner le carac­tère de nos poètes, je com­pare Corneille à Michel-Ange, Racine à Raphaël, Marot au Corrége, La Fontaine au Titien,[…]. Si nous avions un Milton, je le com­pa­re­rais à Jules Romain ; si nous avions le Tasse, nous le com­pa­re­rions au Carrache ; si nous avions l’Arioste, nous ne le com­pa­re­rions à per­sonne, parce que per­sonne ne peut lui être com­paré. »[9] Une autre ques­tion sur laquelle nous vou­drions nous arrê­ter est celle des figu­ra­tions auto­ré­flexi­ves de l’(in)com­pa­rai­son. En d’autres termes, quels sont les objets ou les dis­po­si­tifs (balan­ces, emblè­mes, miroirs, images, dou­bles) qui figu­rent la com­pa­rai­son ? Et com­ment les œuvres d’art ou les codes allé­go­ri­ques appel­lent-ils à la com­pa­rai­son ? Pensons à la Mélancolie de Dürer, qui pro­pose au spec­ta­teur plu­sieurs allé­go­ries (c’est-à-dire plu­sieurs figu­res cons­trui­tes sur un prin­cipe de com­pa­rai­son) de la mélan­co­lie, allé­go­ries qui devien­nent à la fois lisi­bles et rela­ti­ves pré­ci­sé­ment parce qu’on les com­pare. Enfin, au-delà de la théo­rie, il serait impor­tant de com­pren­dre et de décrire com­ment les arts « fonc­tion­nent fra­ter­nel­le­ment » dans leurs dif­fé­ren­tes mani­fes­ta­tions, depuis leurs ori­gi­nes jusqu’à leurs réa­li­sa­tions les plus contem­po­rai­nes, non seu­le­ment en Occident, mais aussi en « Orient ». Un exem­ple par­ti­cu­liè­re­ment éclatant de la fécondité des échanges inter­mé­diaux est la culture du Caucase, où les arts (poésie, chant, musi­que ins­tru­men­tale, danse, arti­sa­nat) fonc­tion­nent par voca­tion en réseau. Un tel exem­ple sou­lève de nom­breu­ses ques­tions, et d’abord celle-ci : le cloi­son­ne­ment des arts ne serait-il pas l’œuvre de struc­tu­res aca­dé­mi­ques qui sont loin d’être uni­ver­sel­les ?

3. En lisant, en com­pa­rant. Dans The Art of Comparison : How Novels and Critics Compare ? (2011), Catherine Brown a mis en lumière la manière dont le com­pa­ra­tisme se veut méta­cri­ti­que. Le lec­teur-com­pa­ra­tiste ne peut s’empê­cher de déve­lop­per une réflexion sur l’acte de com­pa­rai­son. Ce que nous vou­drions tenter de com­pren­dre, c’est ce que fait la com­pa­rai­son à la lec­ture. Lit-on autre­ment, quand on lit pour com­pa­rer ? Et peut-on, d’ailleurs, lire sans com­pa­rer ? Selon Virginia Woolf en tout cas, lire, c’est com­pa­rer : « “We have only to com­pare” – with those words the cat is out of the bag, and the true com­plexity of rea­ding is admit­ted »[10], écrit-elle dans How Should One Read a Book ?

[1] Ronald W. Langacker, Foundations of Cognitive Grammar. Volume 1. Theoritical Prerequisites, Palo Alto, Stanford University Press, 1987, p. 101. [2] Marcel Detienne, Comparer l’incom­pa­ra­ble, Paris, Seuil, 2000, p. 12. [3] Gilles Deleuze, Différence et Répétition, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. 340. [4] Antonio Dominguez-Leiva, « Pour un (nou­veau) com­pa­ra­tisme cultu­ra­liste », dans Antonio Dominguez-Leiva, Sébastien Hubier et Frédérique Toudoire-Surlapierre, avec une pré­face de Didier Souiller, Le Comparatisme : un uni­vers en 3D ?, Paris, L’Improviste, 2012, p. 206. [5] Stéphane Mallarmé, « La musi­que et les let­tres », La Revue Blanche, tome 6, no. 30, avril 1894, p. 304. [6] Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, (À la recher­che du temps perdu), Paris, Gallimard, 1919, p. 170. [7] Théophile Gautier, La Toison d’or [1839], Œuvres. Nouvelles, Paris, Lemerre, 1897, p. 227. [8] Émile Mâle, L’Enseignement de l’Histoire de l’art dans l’Université, Paris, Colin, 1894, p. 10-20. [9] Montesquieu, « Tome sep­tième : Discours, Lettres, Voyage à Paphos », Œuvres com­plè­tes. Texte établi par Édouard Laboulaye, Paris, Garnier frères, librai­res-éditeurs, 1879, p. 149-181. [10] Virginia Woolf, « How Should One Read a Book ? » [1926], The Common Reader. Second Series, London, Hogarth, 1965.

Les arti­cles pro­po­sés par des spé­cia­lis­tes en lit­té­ra­ture fran­çaise, géné­rale et com­pa­rée, en his­toire de l’art, en arts de la scène, en arts visuels sont les bien­ve­nus, le volume étant rela­tif aux études cultu­rel­les et inter­cultu­rel­les. Votre pro­po­si­tion (1/2 page envi­ron), accom­pa­gnée d’une brève notice bio-biblio­gra­phi­que, devra par­ve­nir à Nikol Dziub (nikol.dziub@uha.fr) avant le 8 jan­vier 2017.

Après accep­ta­tion, les arti­cles seront à rendre pour le 31 juillet 2017.

RESPONSABLE : ILLE - EA 4363 Institut de recherche en Langues et Littératures Européennes Université de Haute-Alsace