Ce travail de recherche vise à faire converger plusieurs disciplines autour d’un objet d’étude, la relation de voyage et plus largement les pratiques d’exploration et d’arpentage des territoires (dans la littérature et dans les arts), dont la relation aux savoirs et à la pensée reste encore largement à explorer pour la période qui va du XIXe au XXIe siècle. Il s’agit d’envisager le genre viatique, moins pour sa poétique intrinsèque, que comme l’espace privilégié d’un dialogue renouvelé entre la géographie, l’histoire, la sociologie, l’anthropologie et la philosophie. La littérature et les arts issus du voyage apparaissent comme un nouveau creuset des savoirs, après en avoir été relativement écartés au fur et à mesure de l’autonomisation des disciplines.
Cette réflexion s’inscrit d’abord dans les activités du CERCC, qui accorde une place importante aux recherches sur les rapports entre la littérature, les arts et les sciences humaines, notamment grâce au partenariat stratégique avec l’université de Constance. Parmi les professeurs qui seront invités à l’ENS de Lyon en 2020, Bernd Stiegler élabore une pensée stimulante sur le voyage, à la fois dans une perspective philosophique et à la lumière des innovations techniques dans sa Petite histoire du voyage immobile (Editions Hermann, coll. « Echanges littéraires », 2016). Le séminaire qu’il animera à l’ENS de Lyon sur les Nadar en 2020 sera l’occasion de réfléchir collectivement aux rapports entre voyage et photographie. Le décloisonnement des disciplines au service d’une compréhension élargie des territoires et des paysages entre également en résonance avec le projet JORISS, mené récemment (depuis 2016) par Eric Dayre dans le cadre des liens entre le CERCC, l’école de design et d’architecture de l’ECNU en Chine, et l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne. Cette collaboration a déjà donné lieu à un colloque à l’ENSASE sur les « infrastructures positives », sur les liens entre fiction, photographie et architecture des paysages, et à une exposition sur l’écoconstruction en Chine. Elle s’est également concrétisée par des recherches sur le village-musée de Dafen, situé dans la mégalopole de Shenzen, village où se concentre une activité artisanale de copie des chefs d’œuvre de la peinture occidentale que les autorités chinoises ont décidé de patrimonialiser et de soutenir. Cette recherche consiste à confronter les regards occidentaux et chinois sur le statut de l’œuvre d’art.
L’appréhension croisée des cultures et des usages de l’art en régime mondialisé est un élément important de la réflexion sur le voyage, les savoirs et les arts que nous entendons mener dans le cadre de ce projet, les témoignages des voyageurs (qu’ils soient imprégnés d’un imaginaire orientaliste ou motivés par une quête archéologique ou anthropologique) étant des indicateurs privilégiés de la perception d’autres expressions artistiques. Sur le pôle lyonnais, la question de la circulation des idées entre Orient et Occident est par ailleurs au centre des activités de l’Institut de l’Asie Orientale, que la perspective soit philosophique, avec les travaux de Romain Graziani sur le taoïsme philosophie qui a intéressé bien des voyageurs occidentaux (Fictions philosophiques de Tchouang-tseu, 2006 ; L’Usage du vide. Essai sur l’intelligence de l’action, de l’Europe à la Chine), ou qu’elle relève de l’histoire culturelle (on peut songer à l’ouvrage sur les Fantômes dans l’Extrême-Orient d’hier et d’aujourd’hui, dirigé par V. Durand-Dastès et M. Laureillard en 2017, sur un phénomène qui apparaît également dans les textes des voyageurs). Le dialogue avec les chercheurs de l’IAO permettra d’envisager les enquêtes littéraires et artistiques sur l’Asie du Sud-Est en interaction étroite avec les sciences humaines. Enfin, le caractère interdisciplinaire de ce projet permettra de faire collaborer plusieurs équipes de recherche au sein de l’Université de Lyon, notamment autour des problématiques spatiales et des façons de parcourir et d’habiter le territoire, qui sont au cœur des axes de l’UMR 5600 (Environnement Ville Société) à Lyon et du CIEREC à Saint-Etienne. Cette composante spatiale de la réflexion pourra aisément s’adosser à des structures d’enseignement déjà existantes à l’Université de Lyon, comme le parcours « Écriture et architecture » qui permet la rencontre des étudiants de l’ENS et de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, ou le parcours « Espaces » du Master de sciences sociales de l’ENS, qui forme les étudiants de géographie aux enjeux théoriques du « tournant spatial ». Danièle Méaux, qui dirige le CIEREC, constituera une collaboratrice privilégiée sur la pratique de l’enquête et le travail de terrain qui lient étroitement littérature, géographie et photographie. L’ensemble de ses travaux sur les dispositifs photolittéraires et les pratiques d’enquête et de déambulation urbaine résonne particulièrement avec notre désir de faire dialoguer littérature viatique et sciences humaines, de sorte qu’elle sera co-organisatrice d’un colloque international qui aura lieu en 2021. Rappelons que dans le cadre de la réunion de l’ENS et de l’UJM au sein de l’Université de Lyon, les enseignants-chercheurs des deux institutions qui travaillent dans le champ des arts et de la littérature se retrouveront dans le même "Pôle de Formation et de Recherche". Il paraît dès lors fort souhaitable que continuent à se développer des synergies dans le champ de la recherche en lettres et sciences humaines et sociales, et que des projets communs se mettent en place. Aussi les rapprochements entre le CERCC - EA 1633 et le CIEREC - EA 3068 méritent-ils d’être renforcés afin de préparer des collaborations ultérieures de plus longue haleine et d’être en mesure de répondre aux divers appels de la nouvelle Université de Lyon. J’organiserai à l’ENS deux événements scientifiques interdisciplinaires, une journée d’étude et un colloque (détaillés ci-dessous), afin de mettre en place cette réflexion sur le voyage et les savoirs. La journée d’étude sur les voyageurs-philosophes pourra donner lieu à une publication en ligne, par exemple sur le site de Viatica, revue électronique dédiée à la littérature des voyages. Elle permettra d’amorcer une réflexion plus globale sur les rapports entre l’art du voyage et la discipline philosophique, que je souhaiterais approfondir dans un ouvrage à venir. Le colloque qui aura lieu en 2021 se traduira quant à lui par une exposition (sur photographie et anthropologie) et par une publication collective au format papier, accueillant des contributions de chercheurs issus de disciplines variées.