Proposé et présenté par le CERCC (axe : littérature et anthropologie), ce programme de formation et de recherche est contractualisé entre l’ANR, l’ENS et la région Rhône-Alpes, dans le cadre du programme d’ "Aides aux étudiants et développement international" de la région, 2021-2023.
Responsable de projet : Eric Dayre
Le champ de la collaboration internationale développé concerne le croisement de la traductologie, des rapports entre littérature et société et la description du mouvement historique de création d’une langue de culture, qui passe encore trop inaperçue en Europe. Nous assistons aujourd’hui en effet à un phénomène de transfert culturel et linguistique avec la naissance d’une littérature et d’une langue hybride de l’immigration hispanique, le « spanglish » (mélange hybride d’abord informel, mais de plus en plus codé, d’espagnol et d’anglais, parlé par 50 à 60 millions de personnes).
Le spanglish intègre aujourd’hui l’espace de la langue écrite, mais ce phénomène historique n’est pour l’instant guère étudié dans ses productions artistiques, romans ou récits « classiques » et désormais aussi dans ses déploiements en poésie (parfois dans une écriture très expérimentale comme celle de Gianina Braschi). Il a commencé à l’être d’un point de vue descriptif et linguistique mais pas encore (ou très peu) sous l’angle des enjeux artistiques qu’il renouvelle.
Cette langue populaire se développe en particulier dans les romans graphiques. Elle se réapproprie la tradition de la grande littérature espagnole (par exemple, la traduction en Spanglish de "Don Quijote" dans un roman graphique), l’histoire romancée des grandes figures de l’activisme chicano des années 70 et 80 aux USA, la réappropriation des biographies des grandes figures de la culture hispanique. Bref, une culture hybride s’affirme aux USA depuis 20 ans, qui ressemble à bien des égards à ce que fut la Harlem Renaissance pour la culture afro-américaine. Ce phénomène est fascinant pour qui s’intéresse à la traductologie comme question sociale et politique, pour qui s’intéresse aux avant-gardes, et aux évolutions contemporaines des échanges, qu’ils ou elles soient explicites ou plus discrètes (peu ou pas « théorisés » encore), aux mutations du monde actuel : ici à travers l’apparition d’une langue qui s’affirme ausi dans un ensemble de productions écrites, visuelles (film, clips) et musicales (en particulier dans la chanson).
Ce qu’il faut savoir c’est qu’il n’y a pas qu’un seul Spanglish, mais plusieurs variantes avec chacune des aires culturelles spécifiques : celui des Cubains émigrés appelé "Cubonics", le Spanglish des Dominicains, des New-yorkais (le "Nuyoriccan", le spanglish des Chicanos, le Cyber-Spanglish etc). Mais ce qui est sûr, c’est que cette langue est en train de passer du véhiculaire oral au statut d’une langue écrite. Stavans estime que nous avons avec ce phénomène quelque chose qui dans l’histoire n’a eu pour équivalent que la constitution du yiddish. Notre objectif est de réaliser une description et une analyse du panorama linguistique, artistique et culturel du Spanglish, aux Etats-Unis et Porto Rico, car cette langue est en passe de devenir une un véhicule majeur de culture, avec tout un ensemble de créateurs et écrivains.
A l’heure où la dimension européenne et multi-polaire de la région Auvergne-Rhône Alpes entend s’affirmer, ce projet envisage l’immigration comme un espace de création, comme la possibilité de recevoir et de susciter des apports positifs, en faisaint évoluer les modèles de ce qu’on appelle "l’intégration", en déplaçant ainsi la vision négative ou inquiète de ce phénomène qui parfois prédomine dans les analyses contemporaines.
A terme, nous pourrions envisager d’élargir l’étude à la situation dans d’autres pays (Canada, Australie, Mexique), en considérant les dimensions multimédiales de cette langue et de sa diffusion à l’heure d’Internet. Enfin ce qui est au cœur de cette évolution du projet consiste à tenter de penser autrement qu’en termes angoissants les phénomènes d’émigration et d’immigration contemporains, à ouvrir les cadres de pensée qui ont été hérités d’une conception fermée des nationalités et des espaces linguistiques, une conception qui nous semble devoir être reconsidérée dans notre moment historique.
A l’intérieur du monde latino-américain et nord-américain, nous ambitionnons de réaliser un état des lieux de ce phénomène, sous la forme d’une géographie du spanglish, d’une cartographie ses constructions et variantes linguistiques, enfin de ses développements littéraires et artistiques.
La recherche est abordée du point de vue de la littérature comparée, en collaboration avec Ilan Stavans, écrivain et professeur à Amherst College, dans le Massachusetts (Etats-Unis). I. stavans est pionnier dans ce domaine, en tant qu’enseignant-chercheur écrivain et éditeur de la maison Restless Books qui se spécialise dans les écritures d’émigration.
Participants à l’ENS : Isabelle Bleton, spécialiste de littérature sud américaine, Maîtresse de Conférence et membre du CERCC Eric Dayre, directeur du CERCC Raphaël Luis, Maître de conférences en littérature comparée à l’ENS.
Invitations Ilan Stavans, professeur à Amherst, Rolando Perez, Professeur à Hunter College, à New York (Etats-Unis), Silvia Betti (Université de Turin, Italie) linguiste, dont l’apport sera essentiel à la description linguistique du spanglish.
Objectifs :
permettre aux problématiques de la création des langues "nouvelles" d’être reconnues dans l’étude des modalités socio-linguistiques contemporaines, car nous avons là un cas unique d’invention d’une langue hybride, au XXe et XXIe siècle
comprendre en profondeur et de manière positive les mécanismes d’émigration et d’hybridisation des cultures
ouvrir à la réception et à la connaissance un champ méconnu et pionnier dans les études culturelles
PARUTIONS
parution dans le cadre du programme : 2022/ Ilan Stavans, Sur l’auto-traduction, collection Echanges littéraires dirigée par Eric Dayre, Hermann, Paris.