Retranscription d’un entretien oral réalisé le 27/06/2022 par Nadia BOUOTHMANE, relu et corrigé par Marianne FINK, avec les contributions de Chiara JUGÉ, Michele COSCIA e Elena MAZZOLENI.
N. B : Dans Le temps matériel et dans Dépaysement, vous décrivez une Palerme qui représente toute l’Italie, une Italie malade. Frappée par une « mélancolie physiologique », semblable à une Thèbes pestiférée, la ville semble à l’agonie, parvenue à son stade terminal. Lorsqu’on y regarde de plus près, nous découvrons qu’il s’agirait peut-être d’une maladie proprement politique. Le narrateur de Dépaysement évoque le « coma des finances locales », la question de la corruption et de la criminalité. Quelle serait, selon-vous, cette maladie ? Celle-ci a-t-elle la même signification que ce qu’Arbasino décrivait dans In questo stato comme « l’aphasie du sens pratique » , le « il faut que tout change pour que rien ne change » du Guépard ?
GIORGIO VASTA : Tout d’abord, je vous remercie de nous donner l’occasion de réfléchir ensemble et de votre intérêt pour ce que j’ai écrit. Je vais essayer de répondre à cette question très structurée, qui engage toute une série de références littéraires. Je vais essayer de dire quelques mots sur ce qui me semble être le mot-clef de la question, le mot maladie, en clarifiant ce que j’ai l’intention de ne pas faire, même si l’équivoque est possible. Dans mes intentions, il n’y a pas de moralisme, ni un certain type de critique qui censurerait des comportements en considérant qu’ils ne sont pas bons. De mon point de vue, le discours littéraire est un discours sur l’humain, et l’humain ne se laisse ni affronter ni facilement résoudre, encore moins à travers une distinction nette entre gentils et méchants, entre ce qui est sain et ce qui est malade. Je me retrouve souvent à parler de Palerme, j’écris sur Palerme parce que c’est la ville où je suis né et où j’ai grandi, et dans laquelle je suis retourné vivre après vingt ans passés ailleurs, à Turin et surtout à Rome. Chaque fois que je parle de Palerme, je n’utilise pas son nom. Mon discours sur la ville est très peu objectif, comme si la ville était toujours un prétexte, une provocation pour activer le langage, pour le faire surgir, pour lui donner une articulation, une extension, pour construire des images. Je n’arrive pas à activer le langage à partir d’un état d’esprit tranquille, il me faut un esprit conflictuel. La littérature propose de nombreuses situations où les écrivains se mettent à écrire à partir d’un besoin de contraste par rapport à leur ville d’origine. Céline ne pardonne rien aux Français, Thomas Bernard considère Salzbourg comme la ville la plus ignoble d’Europe, Kafka appelle Prague « petite mère ». Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’affect, ou de la tendresse, mais cela signifie que c’est comme si ce lieu vous avait provoqués ou insultés, et que vous, en écrivant, vous réagissiez à cette insulte. Les villes, les lieux n’en veulent à personne, ce ne sont pas des entités avec une volonté ou une intention. Chaque écrivain, lorsqu’il nomme un lieu, convoque un fantôme, un besoin de conflit. Dans le milieu littéraire, les villes deviennent des fantômes. Je n’ai rien à dire d’un point de vue objectif sur l’administration de Palerme, parce que je n’en ai pas la compétence technique. Quand j’ai parlé du maire de Palerme, je réfléchissais en réalité sur les structures rhétoriques à travers lesquelles il a imaginé et décrit la ville, je n’ai jamais vraiment parlé de Palerme. Sur internet, on trouve un texte que j’avais écrit pour Manifesta, qui est la biennale d’art contemporain qui s’est tenue en 2018 à Palerme . Pour un catalogue qui avait été réalisé, j’avais justement écrit un texte sur le nom Palerme, sur ce que j’entends par là, les fantasmes qui sont réveillés quand j’utilise ce terme. Peut-être que toutes les fois que je l’emploie de manière agressive, je suis toujours en train de parler de moi, c’est à moi que j’en veux, c’est à moi que je ne pardonne rien. En écrivant, j’ai besoin de faire semblant qu’il y a un élément extérieur. Palerme fait partie d’une sorte de jeu un peu schizophrène, mais pas au sens pathologique, qui se manifeste ensuite dans l’écriture. En ce qui concerne la maladie, ce qui m’intéresse, ce n’est pas de faire un discours moraliste. La maladie me fascine car elle crée les conditions de deux expériences : l’expérience de la vulnérabilité d’une part (un organisme qui devient davantage conscient de lui-même devient plus attentif à ce qu’il y a autour, parce que l’espace n’est plus neutre, les choses peuvent vous faire mal, si vous n’êtes pas bien, vous ralentissez, vous devenez plus prudents : on l’observe chez les animaux, qui, quand ils sont malades, modèlent leur mouvement sur l’espace alentour), ce qui signifie rendre la connaissance que nous avons du monde encore plus profonde, et d’autre part, l’expérience du comique. La matière qui s’abîme, qui se décompose, c’est aussi quelque chose de comique : un corps qui se meut fatigue dans l’espace, vous pouvez l’observer avec mélancolie, mais il y a aussi quelque chose de la marionnette, quelque chose d’un peu cassé. Lorsque nous regardons les voitures d’il y a trente ans, il y a un peu de cela, de quelque chose d’à la fois émouvant et comique. En ce sens, c’est comme si Palerme était une ville physiologiquement, éternellement malade. Sa pathologie n’est pas un fait extrême, exceptionnel. C’est structurellement un corps malade. En cela, il y a quelque chose de terrible et de profondément fascinant. Cette ville possède un équilibre quand personne ne la gouverne vraiment à travers la loi. Dès qu’intervient le droit, la ville perd son équilibre. La congestion du trafic routier, les voitures en triple file, les comportements arrogants lui donnent une forme d’équilibre. Un rapport de poids et de contrepoids qui ne sont pas vertueux, mais qui sont tous liés à des comportements déviants fonde son équilibre : si vous essayez de modifier ces rapports de force avec des contraventions, la ville devient complètement folle. Palerme dans son quotidien est modérément folle, si vous cherchez à la soigner, elle empire.
[Grazie intanto per l’occasione di ragionare insieme e per l’attenzione nei confronti di quello che ho scritto. Provo a rispondere a questa domanda molto articolata, che attiva tutta una serie di riferimenti letterari. Provo a dire qualcosa sulla parola chiave della domanda, la parola malattia, provando a dire quello che non intendo di fare, anche se esiste la possibilità di un equivoco. Nelle mie intenzioni non c’è il moralismo, non c’è un certo tipo di critica che censura alcuni comportamenti considerandoli sbagliati. Dal mio punto di visto il discorso letterario è un discorso sull’umano, e l’umano non si lascia facilmente né affrontare né risolvere, tanto meno si lascia risolvere attraverso una distinzione netta tra buoni e cattivi, tra ciò che è sano e ciò che è ammalato. Io mi trovo spesso a parlare di Palermo, scrivo di Palermo perché è la città dove sono nato e cresciuto, la città nella quale sono tornato a vivere dopo vent’anni passati in altri posti, a Torino e a Roma soprattutto. Tutte le volte in cui parlo di Palermo, non utilizzo la parola Palermo. Io faccio un discorso minimamente oggettivo sulla città : è come se la città fosse sempre un pretesto, una provocazione per attivare il linguaggio, per fare accadere il linguaggio, per dargli un’articolazione, un’estensione, per costruire immagini. Non riesco ad attivare il linguaggio a partire da uno stato d’animo tranquillo, ho bisogno di uno stato d’animo conflittuale. La letteratura propone tante situazioni in cui gli scrittori si mettono a scrivere a partire da un bisogno di contrasto nei confronti di quella che è la loro città di origine. Passando per un ambito francese, Céline non perdona nulla ai francesi, Thomas Bernard considera Salisburgo la città più ignobile di tutta Europa, Kafka descrive Praga con la parola « matrigna ». Non significa che non ci sia un affetto, anche una tenerezza nei confronti di questi luoghi, ma significa che è come se uno di questi luoghi ti avesse provocato o insultato ed è come se scrivendo tu reagissi a quest’ insulto. Le città, i luoghi, non ce l’hanno con nessuno, non sono delle entità con una volontà o un’intenzione. Ogni scrittore quando nomina un luogo, sta convocando un fantasma, un bisogno di conflitto. Le città, in ambito letterario, diventano dei fantasmi. Non ho nulla da dire dal punto di vista oggettivo sull’amministrazione di Palermo, perché non ho una competenza tecnica. Le volte in cui quale ho parlato del sindaco di Palermo, in realtà riflettevo sulle strutture retoriche attraverso le quali lui ha immaginato e descritto la città, non parlo mai davvero di Palermo. C’è in rete un testo che avevo scritto per Manifesta, che è la biennale d’arte contemporanea che nel 2018 si è tenuta a Palermo, e per un catalogo che è stato realizzato, avevo scritto un testo proprio sulla parola Palermo, su che cosa intendo, su quali sono i fantasmi che vengono attivati quando utilizzo questa parola. Forse, tutte le volte in cui utilizzo la parola Palermo in una chiave aggressiva, sto sempre parlando di me, ce l’ho con me, è a me che non perdono nulla. Scrivendo ho bisogno di far finta che ci sia un elemento esterno. Palermo è parte di una specie di gioco un po’ schizofrenico, non in senso patologico, che si manifesta poi nella scrittura. Rispetto alla malattia, quello che mi interessa, non è di fare un discorso moralistico. La malattia mi affascina perché crea le condizioni per due esperienze : la vulnerabilità (un’organismo che diventa più cosciente di se stesso, diventa più cosciente di quello che c’è intorno, perché lo spazio non è più neutro, le cose possono farti male, se non stai bene, rallenti, diventi più prudente : l’osserviamo con gli animali che modellano il proprio movimento quando sono malati sullo spazio intorno), che significa rendere ancora più profonda la conoscenza che abbiamo del mondo, e il comico. La materia che si rovina, che si distrugge è anche qualcosa di comico : un corpo che si muove affatica nello spazio, lo puoi l’osservare in modo malinconico ma c’è anche qualcosa della marionetta, qualcosa di un po’ rotto. Quando guardiamo le macchine di 130 anni fa, c’è qualcosa di movente e di comico. In questo senso, è come se Palermo fosse una città fisiologicamente, eternamente malata. La sua patologia non è un fatto eccezionale, estremo. È strutturalmente un corpo malato. In questo, c’è qualcosa di terribile e di profondamente affascinante. Questa città ha un equilibrio quando nessuno davvero la sta governando attraverso la legge. Appena interviene il diritto, la città perde equilibrio. Il traffico congestionato, le macchine in tripla fila, la prepotenza nei comportamenti sono una forma di equilibrio della città. La città è fondata su un rapporto di pesi e contrappesi che non sono virtuosi, sono tutti legati a dei comportamenti ingiusti. Ma questo porta l’equilibrio : si tu provi a modificare questi rapporti con delle contravvenzioni, la città impazzisce completamente. Questa città nel suo quotidiano è moderatamente pazza, se cerchi di curarla, peggiora.]
N.B. : Vous utilisez une écriture biologique, physiologique avec des termes qui font référence au corps, aux sensations ; vous évoquez par exemple « l’organisme nommé Italie », mais aussi une taxinomie scientifique, géologique, qui s’attache à la matérialité des choses. Vos personnages sont donc toujours saisis avec une certaine distance, nous n’avons jamais accès à leur intériorité, ces derniers sont réduits à un patronyme découlant de leurs caractéristiques physiques (« Le Fil », « Topinambour ») et essentiellement décrits à partir de leurs processus physiologiques. Pourquoi ce choix ?
GIORGIO VASTA : Je me suis rendu compte qu’en écrivant, j’utilisais des notions, des images issues de ce lexique que l’on utilise pour décrire la vie des organismes. Je ne l’ai pas fait de manière idéologique, ni même particulièrement consciente. Je me suis aperçu qu’un certain nombre de métaphores concernaient le corps, le biologique. Je ne sais pas exactement pour quel motif. J’essaie de penser à une possibilité. Les raisons réelles pour lesquelles l’écriture prend telle ou telle forme, l’auteur ne les connaît pas nécessairement bien. Parmi l’ensemble des phénomènes biologiques, celui qui m’attire le plus, c’est que nous sommes en train de parler de matière, un terme central dans ce que j’ai écrit jusqu’ici. La matière est un fait littéraire, elle n’en veut à personne. Le comportement de la matière n’est ni généreux ni hostile, même lorsque ses métamorphoses sont terribles. Les cellules qui deviennent cancérigènes dans un organisme ne sont pas des cellules intentionnellement malveillantes. Le prédateur qui tue sa proie et la mange agit d’une manière qui est en même temps agonistique - parce que la course est un fait agonistique - et indifférente. Le tigre n’a rien contre la gazelle. J’ai une fascination profonde pour la vie animale, que j’observe aussi à partir des circonstances quotidiennes : j’habite une maison où nidifient les hirondelles et je passe mes journées à les écouter chanter. Et déjà le terme « chanter » évoque la fable alors que le chant que produisent les hirondelles sert à communiquer : elles ne chantent pas parce qu’elles sont heureuses. C’est leur vol qui est magnifique à regarder, il n’est pas accompli pour des raisons esthétiques, parce que la vie animale existe en dehors de tout principe esthétique. Vous volez parce que vous êtes en vol, parce qu’il n’y a pas de différence entre le corps, le mouvement, le chant, capturer les insectes en l’air et les porter au nid. Comme le disait Giacomo Leopardi, la matière est indifférente à nos existences, à ce qui arrive aux êtres humains. Ceux-ci se sont inventé un instrument qui ne modifie pas la vie de la matière, mais la problématise. Cet instrument, c’est le langage : la littérature est une volonté de donner un nom aux choses, de créer des noms pour les choses. Les mots donnent un nom à quelque chose qui se meut, qui continue de devenir. C’est une relation absurde entre quelqu’un de sourd, d’aveugle comme la matière, qui ne parle à personne, ne fuit pas, ne provoque personne, et de l’autre côté, un organisme nerveux, inquiet comme le langage. Il existe un sketch de théâtre dans lequel une personne dort d’un sommeil très profond et une autre continue à lui toucher l’épaule pour attirer son attention. C’est comme si le langage cherchait à traiter la matière de cette manière. La matière ne comprend pas le jeu ; le langage est fou. Ce qui est incroyable dans la matière, c’est qu’elle s’ignore elle-même. Gianni Celati a une très belle expression, à la fin de son livre Vers le feu : « Chaque phénomène est serein en soi, signifiant par-là que chaque phénomène, même la tempête, le cataclysme ont une sérénité qui leur est propre » . C’est si impressionnant que les êtres humains ont transformé les phénomènes naturels en dieux. Nous avons eu besoin de les regarder comme on regarde une divinité, parce qu’il n’est pas possible de penser que le vent ne provienne pas d’une intention. Alors vous inventez Éole, vous inventez le dieu des vents.
[Mi sono accorto che scrivendo utilizzavo delle nozioni, delle immagini che provengono da quello che descrive la vita degli organismi. Non l’ho fatto in modo ideologico, neanche particolarmente consapevole. Mi sono accorto che una certa quantità di metafore andavano verso il corpo, il biologico. Non so esattamente per quale motivo. Provo a immaginare una possibilità. Le ragioni reali per le quali la scrittura prende questa forma non è che necessariamente l’autore le conosce bene. Dentro l’insieme dei fenomeni biologici, quello che a me attrae di più è che stiamo sempre parlando di materia, che è una parola che so ormai essere centrale in quello che ho scritto fin qui. La materia è un fatto letterario, non c’è l’ha con nessuno. Il comportamento della materia non è né generoso né ostile, anche quando le metamorfosi della materia sono terribili. Le cellule che diventano cancerogene in un’organismo non sono cellule cattive che intenzionalmente ce l’hanno con qualcuno. Il predatore che uccide la preda e la mangia, agisce in un modo che è allo stesso tempo agonistico, perché la corsa è un fatto agonistico, però allo stesso tempo indifferente. Il tigro non ha nulla contro la gazzella. Ho una fascinazione profonda per la vita animale, che osservo anche a partire da circostanze quotidiane : abito in una casa dove nidificano le rondini, e le giornate passano a sentirle cantarle. E già cantare ha una connotazione fiabesca, il verso che producono le rondini ha una funzione di comunicazione : non cantano perché sono felici. È il loro volo che è bellissimo da guardare, non è compiuto per ragione estetiche, perché la vita animale esiste al di fuori di un principio estetico. Voli perché tu sei in volo, perché non c’è una differenza tra il corpo, il movimento, il verso, catturare gli insetti in aria e portarli al nido. Come diceva Giacomo Leopardi, la materia è indifferente alle nostre esistenze, a quello che succede agli esseri umani. Gli esseri umani si sono inventati uno strumento che non modifica la vita della materia ma la problematizza. Questo strumento è il linguaggio : la letteratura è la volontà di nominare le cose, di creare nomi per le cose. Le parole nominano qualcosa che si muove, che continua a diventare. È un rapporto assurdo tra qualcuno che è sordo, cieco come la materia, che non parla con nessuno, non fugge, non provoca nessuno, e dall’altro lato, un organismo nervoso, irrequieto che è il linguaggio. C’è uno sketch teatrale in cui hai qualcuno che dorme in un sonno profondissimo e un altro che continua a toccargli la spalla per richiamarne l’attenzione, come se il linguaggio cercasse di trattare la materia in questo modo. La materia non capisce il gioco ; il linguaggio è pazzo. Quello che è incredibile nella materia è che è ignara di se stessa. Gianni Celati ha un’espressione molto bella, alla fine del suo libro Verso la foce : « Ogni fenomeno è in sé sereno, intendendo che ogni fenomeno, anche la tempesta, il cataclisma ha una sua serenità ». Questa cosa è così impressionante che gli esseri umani nel tempo hanno trasformato i fenomeni della natura in dei. Abbiamo avuto bisogno di guardarli come si guarda un dio, perché non è possibile pensare che il vento non provenga da un’intenzione. E allora ti inventi Eolo, ti inventi il dio dei venti.]
N.B : En parlant de matière, vous évoquez souvent cette « forme unique » dans laquelle vos personnages sont pris, que ce soit l’omniprésence de l’abécédaire berlusconien de Dépaysement ou la structure géométrique des phrases des communiqués brigadistes ; en bref, la matérialisation spatiale de l’idéologie. Face au déterminisme, à l’expérience de cette forme unique que semble relever le narrateur de Dépaysement en soulignant sa « conscience de vivre dans un monde récursif » , y a-t-il une latitude pour l’action humaine, un espace pour la liberté ?
GIORGIO VASTA : Concevoir une forme unique, solidifier le monde en formes rigides, tout cela a quelque chose de la condamnation, quelque chose de douloureux. Il peut être rassurant de penser que les choses existent seulement d’une seule façon mais j’aurais immédiatement l’impression de manquer d’air. Par ambiguïté, j’entends quelque chose de structurel, comme si tout oscillait un peu. La forme n’est jamais tout à fait immobile, elle bouge toujours un peu comme si l’espace, l’expérience, étaient illuminés par la lumière qu’il y a parfois en été, en toute fin d’après-midi, avant que n’arrive le soir, quand les ombres s’allongent un peu. Alors, vous voyez ces petits mouvements. On trouve sur internet deux images qui synthétisent ce dont je suis en train de parler : la première est une image du Canard-lapin, une illusion d’optique très connue et utilisée en psychologie . C’est ce dessin où, si vous faites la mise au point à un endroit, vous voyez un caneton, puis, si vous la changez de manière imperceptible, vous voyez le lapin. C’est comme si cette image était la synthèse de ce que je pense du monde : il est toujours naturellement canard et lapin en même temps, mais les êtres humains ne peuvent pas traverser l’existence en percevant la multiplicité des choses. Au quotidien, nous décidons donc que nous voyons le canard ou bien le lapin. La littérature serait ce dispositif que nous nous sommes inventé pour fréquenter l’ambiguïté des choses. Les formes de l’expression, de la narration ne servent pas à consolider ce que je pense déjà savoir, mais servent à me faire dire : « Je pensais que c’était un canard, à l’inverse c’est aussi un lapin, je pensais qu’il était coupable, mais il est aussi innocent », « Je pensais qu’il avait tort mais il a aussi raison ». Ce n’est pas une image du aut aut, mais du et et, de la coexistence de choses diverses, parfois de choses opposées. Une autre image que j’utilise souvent comme synthèse d’un certain type de perception est un dessin de John Berger , un écrivain, essayiste et peintre et qui a beaucoup étudié l’expérience visuelle. Il a réalisé le portrait d’une danseuse espagnole qui s’appelle Maria Muñoz. Ce dessin semble mal fait, il semble très sale, le trait n’est pas net, il s’accompagne d’une ombre, d’un tremblement, d’une incertitude. Quand John Berger a décrit comment il l’a réalisé, il avait dit que tandis qu’il cherchait la forme juste, il n’a pas effacé les traits par lesquels il avait cherché à s’approcher du dessin. Le dessin montre le processus, le parcours du peintre. Ce processus est présent dans tout ce qui arrive. Si j’écris un récit, je le réécris plusieurs fois, les phrases se modifient, de la même manière que le trait au fusain cherche les proportions justes, le mouvement juste. L’image qui en ressort se révèle à notre regard un peu plus sale et en même temps un peu plus vivante. La forme ne reste pas immobile. Les êtres humains peuvent agir à plusieurs niveaux. Je me rends compte que plus le temps passe, et plus j’ai le sentiment que les véritables actions se mesurent à la longueur de nos bras ou de nos jambes. Ce sont des actions qui sont près de nous, qui peuvent déterminer des métamorphoses dans l’espace. J’ai l’impression que l’histoire est plus pernicieuse et imprévisible que ce que l’on veut bien penser. Imaginons qu’il y ait une évolution, que la somme de nos actions porte à une évolution d’un point de vue éthique. L’humain a une capacité, celle de se mouvoir dans le temps en donnant parfois l’impression de progresser, mais en ayant aussi une prédisposition à la régression, à détruire ce qu’il a construit. Je pense ici notamment à l’arrêt de la Cour suprême américaine concernant la suspension du droit à l’avortement. Pour une partie de l’opinion publique, ces ruines sont décrites comme des succès, comme une conquête. Nous sommes donc si contradictoires, si absurdes potentiellement, et il y a dans cela quelque chose de terrible mais aussi de très beau. À vingt ans, j’étais fasciné par l’image d’une action, celle qui consiste à tenter de planter un morceau de bois dans la terre. Le terrain n’est pas votre complice, il n’est pas malléable, il est réfractaire, il repousse vos tentatives. Ce sont là les seules actions à accomplir, celles qui se révèlent impossibles. Je continue à avoir une sympathie, un sentiment de tendresse à l’égard de cette image, et aussi une admiration envers un certain type d’utopies.
[Se si concepisce un’unica forma, se si solidifica il mondo in forme rigide, tutto questo ha qualcosa della condanna, qualcosa di doloroso. Può essere rassicurante pensare che le cose stiano solo in un modo, ma la reazione immediata è come se mi mancasse l’aria. Io ho bisogno di sentire l’ambiguità di ogni forma. Per ambiguità intendo qualcosa di strutturale, come se tutto oscillasse un po’. La forma non è mai del tutto ferma, si muove sempre un poco come se lo spazio, l’esperienza fossero illuminati con la luce che c’è a volte nell’estate, nell’ultima parte del pomeriggio prima che arrivi la sera, quando le ombre un po’ si allungano e quindi vedi questi piccoli movimenti. Ci sono due immagini che si trovano in rete, che sono la sintesi di quello di cui sto parlando : un’immagine è quella del Duck/rabbit illusion, che è un’illusione ottica molto conosciuta e utilizzata nella psicologia. È quel disegno dove se metti a fuoco in un punto vedi un papero, cambi impercettibilmente la messa a fuoco e vedi il coniglio. È come se quella immagine fosse la sintesi di quello che penso del mondo : è sempre naturalmente duck e rabbit contemporaneamente, ma gli esseri umani non possono trascorre la vita quotidiana con la percezione della molteplicità delle cose. Durante il quotidiano, decidiamo che vediamo Duck oppure vediamo rabbit. La letteratura è un dispositivo che ci siamo inventati per frequentare l’ambiguità delle cose. Le forme dell’espressione, della narrazione, non servono a consolidare quello che penso già di sapere, servono a farmi dire « pensavo fosse Duck, invece è anche rabbit, pensavo che fosse colpevole, ma è anche innocente », « pensavo che avesse torto, ha torto ma ha anche ragione ». Non è un’immagine del aut aut, ma del et et, della coesistenza di cose diverse, a volte di cose opposte. Un’altra immagine che uso spesso come sintesi di un certo tipo di percezione è un disegno di John Berger, che è stato scrittore, saggista, pittore e ha molto studiato l’esperienza visiva. Realizza un ritratto di una ballerina spagnola che si chiama Maria Muñoz. Questo disegno sembra fatto male, sembra molto sporco, il tratto non è netto, è accompagnato da un’ombra, un tremolio, un’incertezza. Quando John Berger ha descritto come ha realizzato quel disegno, aveva detto che mentre cercava la forma giusta, non ha cancellato i tratti attraverso i quali cercava di avvicinarsi al disegno. Quel disegno mostra il processo, il percorso di un pittore. Questo processo è presente in tutto quello che accade. Se io scrivo un racconto, riscrivo tante volte, le frasi si modificano, nello stesso modo il tratto del carboncino cerca le proporzioni giuste, cerca il movimento giusto. Ne viene fuori un’immagine che risulta allo sguardo un po’ più sporca e allo stesso tempo un po’ più viva. La forma non sta ferma. Gli esseri umani possono agire su più livelli. Io mi accorgo che più passa il tempo, e più ho la sensazione che le azioni sono misurate dalla lunghezza delle nostre braccia o delle nostre gambe, sono azioni che sono vicino noi. Hanno possibilità di determinare metamorfosi nello spazio. Ho l’impressione che la storia sia più perfida, imprevedibile e terribile di quanto vogliamo immaginare che possa essere. Immaginiamo che ci sia un’evoluzione, che la somma delle azioni porti a un’evoluzione da un punto di visto etico. L’umano ha una capacità, si muove nel tempo a volte dando l’impressione di evolvere, ma avendo anche una predisposizione all’involuzione, a rovinare quello che ha costruito. Per una parte dell’opinione pubblica, queste rovine sono descritte come successi ; come una conquista. Quindi siamo così contraddittori, così potenzialmente assurdi, che dentro questo c’è qualcosa di terribile e di molto bello. Quindi, un’immagine che mi affascinava a vent’anni e che riguardava proprio le azioni, era quella del piantare un pezzo di legno nel terreno. Questa immagine diceva in realtà, che le uniche azioni che ha senso compiere corrispondono al piantare il paletto nel cemento armato. Il terreno non è tuo complice, non è malleabile, è refrattario, respinge il tuo tentativo. Queste sono le uniche azioni da compiere, quelle che risultano impossibili. Continuo di avere una simpatia e un senso di tenerezza nei confronti di quest’immagine e anche un’ammirazione nei confronti di un certo tipo di utopie.]
N.B : Le langage semble avoir une importance de premier plan dans votre œuvre, il est toujours décrit dans sa dimension matérielle, physique, tandis que la réalité est spectrale, vacillante, elle risque de basculer dans le néant à chaque instant. Il y a, tout d’abord, l’invention de ce langage, l’alphamuet dans Le temps matériel, et puis dans Dépaysement la construction des enfants sur la plage de ce que le narrateur appelle un « abécédaire de sable ». Pourquoi cette attention accordée au langage ?
GIORGIO VASTA : Je souhaite pouvoir toucher les mots, passer du temps à l’intérieur d’une phrase, comme vous pouvez passer le temps dans un lieu. J’ai rêvé de situations de ce genre. Derrière la construction du nom « Berlusconi » avec du sable, il devrait y avoir une référence à l’Hollywood des origines, quand il y avait l’inscription Hollywood et puis le récit, la légende d’une actrice qui se jette depuis une lettre parce qu’elle est frustrée de ne pas avoir réussi à devenir célèbre. Toutes les fois où dans les terrains de jeux il y a de grands panneaux, parfois tridimensionnels, des lettres qui peuvent vraiment être atteintes, touchées, sur lesquelles vous pouvez monter, j’en ai presque toujours le vertige, comme si j’avais envie de pleurer et de rire en même temps, comme si je voyais réalisé là non pas simplement une décoration, mais quelque chose de mystérieux. Dans Absolutely nothing j’écris sur un lieu, le Neon museum qui se trouve à Las Vegas, où dans un bout de désert, parce qu’il s’agit d’un musée à ciel ouvert, sont accumulées, apparemment abandonnées, ces inscriptions qui dominaient la Strip, qui était la rue principale de Los Angeles, celle où se trouvaient le casino, des chapelles où il était possible de se marier en quelques minutes... Il y a tous ces mots avec des graphies diverses. Vous, visiteurs du Neon museum, vous vous promenez à travers le langage, ce langage qui a cherché à se montrer parce que la logique était que les automobilistes traversaient cette route toujours plus vite, parce qu’avec les progrès de la technologie, les voitures devenaient de plus en plus rapides. Il nous faut réussir à capter l’attention de l’automobiliste en un instant, nous devons être mots et lumière en même temps. Nous devons apparaître devant ses yeux, capter son attention, le pousser à accomplir une action. Tout ce langage vient de moi, était à l’intérieur de moi. Tout ce langage scintillant, mais en même temps retraité parce qu’il n’est plus là, tout ce langage crié dans le désert – parce que Las Vegas est une ville construite dans le désert. Une expression qui revient dans les écritures saintes quand on parle des prophètes est « Vox clamantis in deserto », une voix qui parle dans le désert. Ces panneaux publicitaires ont un caractère biblique par accident : le langage est toujours une voix qui crie dans le désert. Chacun a sa propre vision du monde. Il y a celui qui imagine que le langage peut sauver, peut être vraiment habitable ; et puis il y a celui qui pense – et je me crois plus proche de cette deuxième typologie – que le désert est plus fort que tout, plus fort que tous, que toute tentative de l’interrompre. Le désert tout comme la matière n’a pas d’ambitions, il n’a pas de carrière, il cherche seulement à se perpétuer lui-même, rester ici, continuer à être « Absolutely nothing ». Je n’ai pas tendance à avoir une vision salvatrice du langage, ce qui ne signifie pas que j’en aie une vision pessimiste, mais je crois que le langage crée les conditions pour que l’on puisse, ensemble, s’illusionner de quelque chose. Et cette illusion, ce n’est pas quelque chose d’erroné, c’est la seule chose qui a du sens. Dans les liens sociaux, il n’y a rien de plus impardonnable que le pragmatisme, le réalisme. Quand je lis un livre, je demande au langage de me taquiner, de me faire croire que, d’être puissant dans la construction de la fiction. Faites-moi entrer dans les mots, faites-moi imaginer qu’il est véritablement possible de passer du temps là-dedans, faites-moi même penser qu’il n’y a pas de dehors. Quand nous lisons passionnément un roman, il n’y a plus de dehors, il y a seulement le dedans. Je reviens sur cet unique point : il y a de ma part un désir infantile de construire des scènes dans lesquelles les personnages entrent physiquement en contact avec le langage. Ils construisent ainsi le nom Berlusconi avec ce sable qui contient toute la vie humaine, émiettée et compactée de nouveau. Et Berlusconi, non pas en tant que Berlusconi, mais en tant que synthèse. Un seul mot pour dire tout le temps. Il y a l’alphamuet qui relève d’un désir de construire un langage laconique, ce qui semble une contradiction puisqu’un langage ne parle pas. Mais l’alphamuet est fait de postures, il est pictographique. Il y a aussi dans Le temps matériel le barbelé, entendu comme un italique ; il y a la description des bouts de barbelés, à la campagne, qui semblent une écriture solidifiée dans l’air, faite de petits nœuds, de pointes qui vont vers le haut, vers le bas, comme dans le t, le p, le f. Et puis Nimbe prend un bout de barbelé et l’utilisera au cours du roman, en imaginant toujours toucher le langage, le faire devenir matière et agir.
[Ho il desiderio di potere toccare le parole, di passare del tempo dentro una frase come puoi passare il tempo in un luogo. Ho fantasticato situazioni di questo genere. Quando viene costruita la parola Berlusconi con la sabbia, dovrebbe esserci un riferimento alla Hollywood delle origini, quando c’era la scritta Hollywood e poi il racconto, la leggenda di un’attrice che si gettò giù da una lettera perché frustrata dal fatto di non riuscire a diventare un’attrice conosciuta.Tutte quelle volte in cui nei parchi giochi ci sono delle grandi insegne, a volte tridimensionali, lettere che possono davvero essere raggiunte, toccate, sulle quali puoi salire per me c’è sempre stato quasi una vertigine, come se mi venisse da piangere e da ridere nello stesso tempo, come se vedessi realizzato lì non semplicemente una decorazione, ma qualcosa di misterioso. In Absolutely nothing c’è un luogo che viene raccontato che è il Neon museum che si trova a Las Vegas, dove in un pezzo di deserto, perché si tratta di un museo all’aperto, sono accumulate, apparentemente abbandonate quelle scritte che dominavano la Strip che era la via principale di Los Angeles, dove c’erano i casinò, cappelle in cui era possibile sposarsi in pochi minuti. Ci sono tutte queste parole, con delle grafiche diverse. Tu, visitatore del Neon museum, vai a spazzo per il linguaggio, questo linguaggio che ha cercato di farsi vedere perché la logica era che degli automobilisti attraverseranno questa strada sempre più velocemente, perché la tecnologia migliora, le macchine diventano più veloci. Dobbiamo riuscire a catturare l’attenzione dell’automobilista in un istante, dobbiamo essere parole e luce allo stesso tempo. Dobbiamo comparire davanti ai suoi occhi, catturare la sua attenzione, spingerlo a compiere un’azione. Tutto quel linguaggio dice « vieni da me, entra dentro di me ». Tutto questo linguaggio scintillante però, allo stesso tempo pensionato perché non sta più lì, tutto questo linguaggio ha gridato nel deserto perché Las Vegas è una città costruita nel deserto. Un’espressione che ricorre nelle antiche scritture quando si parla dei profeti, si parla di « Vox clamantis in deserto », una voce che parla nel deserto. Queste scritte pubblicitarie hanno accidentalmente un carattere biblico : il linguaggio è sempre una voce che chiama nel deserto. Ognuno ha la propria visione del mondo. C’è chi immagina che il linguaggio possa riscattare, possa essere davvero abitabile ; e poi c’è chi – e io mi sento più vicino a questa seconda tipologia – pensa che il deserto è più forte di tutto e di tutti, e di ogni tentativo di interromperlo. Lì hai delle scritte che possono interrompere la logica del deserto, che è la logica della materia. Il deserto come la materia non ha ambizioni, non ha carriera, vuole solo perpetuare se stesso, rimanere qui, continuare a essere « Absolutely nothing ». Non tendo ad avere una visione salvifica del linguaggio, che non significa che io ne abbia una visione pessimistica ma credo che il linguaggio crea le condizioni perché ci si possa insieme illudere di qualcosa. Questo illudersi non è una cosa sbagliata, è l’unica cosa che ha senso. Nei legami tra le persone non c’è nulla cosa di più imperdonabile che il pragmatismo, il realismo. Al linguaggio, io chiedo quando leggo un libro di prendermi in giro, di farmi credere che, di essere potente nel costruire la finzione. Fammi entrare nelle parole, fammi immaginare che davvero si possa passare del tempo qui dentro, fammi addirittura pensare che non c’è un fuori. Quando noi leggiamo appassionatamente un romanzo, non c’è più un fuori, c’è solo il dentro. Torno su quest’unico punto : c’è un desiderio infantile di costruire scene nelle quali i personaggi entrano fisicamente in contatto col linguaggio, perché costruiscono la parola Berlusconi con questa sabbia che contiene tutta la vita umana sbriciolata e ricompattata. E Berlusconi non in quanto Berlusconi, ma in quanto sintesi. Una sola parola per dire tutto il tempo. C’è l’alfamuto che ha a che fare con un desiderio di costruire un linguaggio laconico, che sembra una contraddizione, un linguaggio che non parla. Ma l’alfamuto è fatto di posture, è pittografico C’è anche dentro il Tempo materiale il filo spinato, inteso come un corsivo ; c’è la descrizione di tratti di filo spinato, in campagna, che sembrano una scrittura solidificata nell’aria, fatta di piccoli nodi, punte che vanno verso l’alto, verso il basso, come nella t, nella p, nella f. E poi Nimbo prende un pezzo di filo spinato e lo userà nel corso del romanzo, immaginando sempre di toccare il linguaggio, di farlo diventare materia e di agire.]
N.B : Le temps semble être une préoccupation majeure dans votre œuvre, préoccupation que nous retrouvons dans le titre même de l’ouvrage collectif Présent que vous avez co-signé avec Andrea Bajani, Michela Murgia et Paolo Nori. Le temps matériel et Dépaysement se déroulent dans un temps anhistorique, malgré la présence d’une chronologie dans Le temps matériel permettant de reconstituer l’action de juin à décembre 1978 et d’une scansion de la temporalité narrative en trois jours dans Dépaysement. L’Italie semble être sortie de l’histoire : dans Anteprima nazionale , vous évoquez « La rage qui naît au moment où on se rend compte d’avoir renoncé au droit d’être dans l’histoire ». Ce présent serait-il une caractéristique de notre temps, faisant écho à ce que certains critiques ont pu appeler le régime d’historicité présentiste, ou bien s’agit-il là d’une spécificité italienne ?
GIORGIO VASTA : J’ai écrit des livres dans lesquels le temps est central, dans Dépaysement aussi avec le resserrement du récit sur une unité de temps bien précise, sur trois journées. Nous n’avions pas prémédité d’intituler notre livre Présent mais nous nous sommes aperçus que le dénominateur commun était le journal - bien que fictionnel, parce que chacun de nous a inventé une bonne partie de ce qui est raconté. Les deux mots-clefs sont « matière » et « temps », déjà synthétisés dans le titre du premier livre, Le temps matériel, comme s’il s’agissait d’un manifeste programmatique. Je parle des choses faites à partir de ce moment-là, de celles que j’ai faites maintenant, sur les deux prochains livres qui sortiront entre septembre et l’an prochain, où il n’y a rien d’autre que le temps. Ce qui a changé, c’est la manière de comprendre justement le présent. Au moment du Temps matériel et de Présent, j’avais la sensation que le temps avait sa propre lisibilité, que l’histoire pouvait fournir des descriptions du temps. En 2016, j’ai écrit un livre qui devrait sortir en France chez Verdier, qui en italien s’intitule Absolutely nothing. C’est un livre qui m’a été très utile pour comprendre comment les choses se passaient. C’est un reportage : un éditeur charge un écrivain et un photographe de faire un voyage et de le raconter par l’écriture et les images. J’ai fait ce voyage en 2013 avec Ramak Fazel, un photographe américain et Giovanna Silva, qui est photographe et éditrice. Ce voyage se concentrait sur un aspect : les espaces abandonnés, les lieux dans lesquels les êtres humains sont allés, ont construit un village, un parc aquatique, un hippodrome, sont intervenus, ont voulu faire sentir cet aspect des êtres humains et transformer l’espace, le modifier, puis ils se sont éloignés, notamment parce qu’une partie de ces lieux a été construite dans le désert. Le désert ne se laisse guère façonner, il vous donne l’impression, peut-être au début, que vous pouvez faire quelque chose, et puis il reprend tout. Il reste donc un hippodrome abandonné dans le désert, un village où personne ne vit, une ville fantôme. Je me suis rendu compte que je m’approchais toujours plus d’une idée du temps plus nette. Et cette expérience du temps coïncidait alors avec le désert, avec les déserts nord-américains. Quand vous êtes dans le désert - et en tant qu’européens le désert, nous le connaissons bien peu - il arrive un stade où les navigateurs internet et les téléphones portables ne fonctionnent plus. Il y a un moment, qui est raconté dans le livre, où les trois voyageurs descendent de la Geep et constatent qu’autour d’eux tout est blanc, que l’on ne voit même plus la ligne d’horizon. Alors, vous ne vous demandez pas simplement : « Dans quel espace suis-je ? », vous ne savez même plus dans quel temps vous vous trouvez. Le désert rend l’expérience des choses radicale. Vous devez vous souvenir : « J’ai quarante-et-un ans, je suis en voyage avec ces deux amis, nous devons écrire ce livre », comme si tout disparaissait pour un moment, mais pas de manière douloureuse. La sensation est presque opposée : vous découvrez des moments dans lesquels il vous semble que vous ne savez plus rien, si bien que le sous-titre de ce livre est « Histoires et disparitions dans le désert américain ». Pour moi, le présent est une expérience privée non seulement au sens de personnel mais aussi au sens de soustraire, priver, retirer. Le présent se manifeste et au même moment où il se manifeste, il disparaît, comme s’il s’agissait d’une lumière qui, apparaissant sous nos yeux, s’évanouit dans l’instant même où elle apparaît. C’est la métaphore des feux d’artifice, cette grammaire originale : des lumières qui se matérialisent dans l’obscurité mais qui n’ont pas de durée. D’abord, je pensais qu’il y avait une durée, qu’on pouvait rester dans la durée. L’histoire me donnait l’impression d’être un instrument pour lire les durées à l’intérieur des périodes temporelles. Puis, le présent est devenu de plus en plus originel. Parfois, je me dis que j’ai une curiosité non réalisable. Il me plairait de savoir comment un nouveau-né perçoit physiquement le monde. J’ai tendance à imaginer qu’il voit surtout un mélange fantasmatique de lumière, d’obscurité, de choses qui deviendront des corps, des liens, des affects par la suite. Peut-être, même à la fin, ce sont deux expériences qui ne sont pas partageables parce qu’il n’y a pas de langage pour partager l’expérience du monde et puis parce qu’il n’y a pas de temps. C’est comme si nous nous approchions toujours plus d’une déstructuration de chaque élément linéaire, d’une architecture, de la durée. Le présent est pour moi une lumière qui apparaît puis s’éteint comme les feux d’artifice et les phares. Vous voyez ce moment où la lumière se tourne vers vous et puis s’enfuit. Le texte que j’ai écrit pour Manifesta s’appelle « Palerme, une autobiographie sous la lumière » : l’expérience de la lumière y est centrale, et à travers la lumière, l’on parle du temps.
[Ho scritto dei libri nei quali il tempo è centrale, anche in Spaesamento con il concentrarsi del racconto su un’unità di tempo ben preciso che sono tre giornate. Non era premeditato che il libro si intitolasse Presente ma ci siamo accorti che il denominatore commune era il diario, seppure un diario finzionale, perché ognuno di noi ha inventato in buona parte di quello che viene racconto. Le due parole sono materia e tempo, sintetizzate nel titolo del primo libro Tempo materiale, come se fosse un manifesto programmatico, non essendolo perché non c’era quell’idea. Ragiono sulle cose fatte a partire da quel momento, su quelle che ho fatto adesso, sui prossimi due libri che usciranno tra settembre e l’anno prossimo, dove non c’è altro che il tempo. Quello che è cambiato è il modo di intendere proprio il presente. Al tempo di Tempo materiale e di Presente, avevo la sensazione che il tempo avesse la sua propria leggibilità, che la storia possa fornire delle descrizioni del tempo. Nel 2016, ho scritto un libro che dovrebbe uscire per Verdier in Francia, che in italiano si intitola Absolutely nothing. È un libro che mi è stato molto utile per capire che cosa stavano succedendo delle cose. È un reportage : un editore incarica uno scrittore e un fotografo di fare un viaggio e di raccontarlo con la scrittura e con le immagini. Ho fatto questo viaggio in 2013 con Ramak Fazel, un fotografo americano e Giovanna Silva che è fotografa ed editore. Questo viaggio si concentrava su un aspetto : gli spazi abbandonati, i luoghi nei quali gli esseri umani sono andati, hanno costruito un villaggio, un parco acquatico, un ippodromo, sono intervenuti hanno voluto far sentire quello aspetto degli esseri umani e cambiare lo spazio, modificarlo, poi si sono allontanati, anche perché una parte di questi luoghi sono stati costruiti nel deserto. Il deserto lascia poco plasmare, ti dà l’impressione, magari all’inizio, che tu possa fare qualcosa, poi però si riprende tutto. Quindi, rimane un ippodromo abbandonato nel deserto, villaggio in cui non vive nessuno, una ghost town. Mi sono reso conto che mi andavo avvicinando sempre di più a un’idea di tempo più netta. E quest’esperienza del tempo coincideva allora con il deserto, con i deserti nord americani. Quando sei nel deserto, e da Europei il deserto lo conosciamo ben poco, arriva un punto in cui i navigatori e cellulari non funzionano più. C’è stata una volta che viene raccontata nel libro in cui i tre viaggiatori scendono dalla Geep, si guardano intorno e tutto è bianco, la ligna dell’orizzonte non la vedi. La domanda che ti poni non è semplicemente « In che spazio siamo ? », non sai più neanche in che tempo ti trovi. Il deserto rende radicale l’esperienza delle cose. Devi ricordarti : ho 41 anni, sono in viaggio con questi due amici, dobbiamo scrivere questo libro come se tutto svanisse per un momento, non in una maniera dolorosa. La sensazione è quasi opposta : ti sembra di scoprire dei momenti in cui ti sembra di non sapere più nulla, tanto che il sottotitolo di questo libro è « storie e sparizioni » nei deserti americani. Per me, il presente è un’esperienza privata non soltanto nel senso di personale ma anche nel senso di sottrarre, privare, togliere. Si manifesta e nello stesso momento nel cui si manifesta svanisce, come se fosse una luce che compare davanti agli occhi e nello stesso istante in cui compare, va via. Il presente trova una sua metafora nei fuochi d’artificio, che sono una grammatica originaria : luci che si materializzano in uno spazio buio ma non hanno durata. Prima pensavo che ci fosse una durata, che si potesse stare nella durata. La Storia mi dava l’impressione di essere uno strumento per leggere le durate all’interno dei lassi temporali. Poi il presente è diventato sempre più originario. Ogni tanto mi dico che ho una curiosità non realizzabile. Mi piacerebbe sapere come un neonato vede il mondo in modo fisico. Tendo a immaginare che veda soprattutto un mescolarsi fantasmatico di luce, di buio, di cose che poi diventeranno corpi, legami, affetti. Forse, anche alla fine, sono due esperienze che non sono condivisibili perché non c’è il linguaggio per condividere l’esperienza del mondo e poi perché non c’è il tempo. È quindi come se si andasse sempre di più verso una destrutturazione di ogni elemento lineare, di un’architettura, della durata. Il presente per me è una luce che compare e svanisce come i fuochi d’artifici e i fari. Vedi quel momento in cui la luce rivolta verso di te e poi va via. Quello che ho scritto è « Palermo, un’autobiografia nella la luce » : l’esperienza della luce è al centro, e attraverso la luce, si parla di tempo.]
N. B : Les enfants sont des personnages récurrents dans vos romans, qu’il s’agisse des héros juvéniles du Temps matériel ou bien des deux garçons qui extorquent de l’argent fictif au narrateur dans Dépaysement. Vous reprenez ici une figure archétypale de la littérature italienne, ce « mythe de l’enfance » analysé par Gilbert Bosetti ; l’on se souvient par exemple du personnage de Pino chez Calvino, gavroche héros du Sentier des nids d’araignées . J’ai le sentiment que l’enfance devient un mode d’exploration privilégié de la nature humaine dans vos écrits, propice au déploiement d’une réflexion anthropologique plus générale. Pourquoi avoir choisi d’utiliser le point de vue d’un jeune garçon pour raconter l’ascension de la violence brigadiste dans Le temps matériel ?
GIORGIO VASTA : Si dans Le temps matériel, les personnages avaient eu quatorze ans au lieu d’en avoir onze, leur comportement resterait condamnable mais pourrait être expliqué sur le plan de la vraisemblance et de la psychologie. Je n’avais pas prévu que Nimbe eût onze ans car cela semble justement incompatible : son comportement n’est pas celui d’un garçon de onze ans. Je voulais que l’histoire eût quelque chose d’invraisemblable. Je ne me situais pas sur le plan mimétique. Je ne demandais pas à qui me lût « Crois-moi parce que ces choses peuvent arriver », le discours serait plutôt à l’inverse : « Crois-moi bien qu’elles ne puissent pas arriver », car des interdits surviennent à un certain moment. Les protagonistes sont de jeunes enfants, les enfants jouent au ballon, jouent à la guerre de diverses manières. Mais quand les enfants jouent, il y a une règle tacite : lorsque l’on se fait mal, que quelqu’un tombe, que jaillit le sang, le jeu s’interrompt. Ce n’est pas une question culturelle ou éthique, c’est presque une impulsion animale. En cet instant nous sommes vulnérables. Le jeu est une simulation, c’est une illusion, une transfiguration de l’espace réinventé, mais quand jaillit le sang, un adulte rompt le cercle du jeu pour prendre l’enfant et l’amener au loin, le groupe se disperse. Imagine ce qui adviendrait si, à un certain moment quelqu’un se faisait mal et que l’on continuait à jouer. Le temps matériel est le récit de cette situation dans laquelle un enfant se fait mal et que le groupe continue à jouer. Nimbe et ses compagnons sont surpris quand ils se rendent compte que leurs premiers petits attentats sont pris au sérieux. Mais à ce stade, personne encore ne s’est fait mal. Un passage central pour moi a été lorsque j’ai compris que je devais faire coïncider la séquestration de Morana avec sa mort. Je la désapprouvais d’un point de vue moral, mais dans les histoires nous faisons aussi arriver des choses injustes. Je m’étais dit qu’ils allaient s’arrêter là. À l’inverse, je me suis rendu compte qu’ils continuaient et projetaient la séquestration de Wimbow. Ce n’était pas une démarche inconoclaste : je ne me dis pas « alors maintenant, je prends le mythe de l’enfance et je le détruis de façon polémique ». Je souhaitais aussi lutter de façon plus complexe contre le phénomène de l’enfance véhiculé par les médias, cette idée que les enfants servent à attendrir. Les humains sont humains mais nous les contraignons à l’idéalisation. Je faisais ainsi un tort à l’humain, mais j’espérais protéger mon interlocuteur de ce mouvement de censure. J’ai décidé qu’il était possible d’éprouver de la tendresse pour Nimbe, mais je ne voulais pas que cette tendresse tienne au fait qu’il avait onze ans. Je voulais qu’on arrive à cette tendresse en faisant un parcours plus tortueux, qu’à ce stade la tendresse fût dirigée vers l’être humain, et que ce ne fût pas une tendresse d’ordre publicitaire. Je ne voulais pas que Nimbe soit l’enfant qui fasse les publicités pour le Panettone à la télévision italienne.
[Se nel Tempo materiale i protagonisti invece di avere undici anni ne avessero seidici, ma anche quattordici, i loro comportamenti rimarebbero estremi, ma troverebbero la possibilità di essere spiegato sul piano della verosimiglianza e della psicologia. Non avevo progettato che Nimbo avesse undici anni e che però fosse così incompatibile con quello che noi pensiamo che fosse un undicenne. L’insieme dei suoi comportamenti non sono quelli che riteniamo possibili in un undicenne. Mi sono reso conto che avevo invece il desiderio che la storia avesse qualcosa di inverosimile. Non cercavo un livello mimetico. Non chiedevo a chi legge « credimi perché queste cose possono succedere », era come se il discorso fosse « credimi nonostante queste cose non possano succedere ». Ci sono dei vincoli, dei divieti che a certo punto intervengono. I protagonisti sono dei preadolescenti, dei ragazzini, non dei bambini ma neanche dei ragazzi. I ragazzini giocano, giocano a pallone, alla guerra in tanti modi. Quando però i ragazzini giocano, c’è una regola non detta, implicita : quando ci si fa male (quando qualcuno cade), quando viene fuori il sangue, il gioco si interrompe. Non è una questione culturale, etica, è quasi un’impulso animale. In quel momento è come se ci fosse un’evidenza : siamo vulnerabili. Il gioco è una simulazione, un’illusione, c’è una continua trasfigurazione. Quando viene fuori il sangue, è come se la realtà dicesse alla simulazione, al gioco : "fermati". Di solito, un adulto entra nel cerchio del gioco, prende il ragazzino che si è fatto male, lo porta via, lo medica, lo rimprovera, il gruppo si scioglie, il gioco s’interrompe, riprenderà il giorno dopo. Immagina che cosa accadrebbe se a un certo punto qualcuno si fa male e si continua a giocare : si fa male un’altro, gli esce il dal ginocchio e si continua a giocare. E come se Il tempo materiale fosse il racconto di questa seconda situazione in cui quando ci si fa male, quando dovrebbero arrivare gli adulti a interrompere il gioco, o dovrebbero esserci l’istinto, l’iniziativa di qualcuno a dire "basta, fermiamoci", invece questo non accade e loro continuano a giocare. I ragazzini sono sorpresi quando si accorgono che i primi piccoli attentati vengono presi sul serio. Però lì, ancora nessuno si è fatto male. Il passaggio centrale è stato quando ho capito che dovevo fare coincidere il sequestro di Morana con la sua uccisione, che io disapprovavo da un punto di vista morale ma nelle storie facciamo anche succedere delle cose ingiuste. C’è stato qualche giorno in cui mi sono detto « ora però tutto si ferma ». Tre ragazzini hanno ucciso un loro coetaneo, lo hanno deliberatamente ucciso : se succede questo, devono fermarsi. Invece mi sono accorto che andavano avanti e progettavano il sequestro di Wimbow. Non c’era un’intenzione da parte mia iconoclasta : non dico « ora prendo il mito dell’infanzia » e in modo polemico lo distruggo. C’era il desiderio di una lettura più complessa del fenomeno dell’infanzia che viene spesso stilizzato, ritagliato, addomesticato. Se penso agli spot pubblicitari, che coinvolgono i bambini, che come se il mito dell’infanzia venisse anche doppiato dai media : l’idea che i bambini servono a intenerire. I bambini sono umani, sono tutto quello che è possibile che possa essere. Se io li costringo all’idealizzazione, faccio un torto. Sto cercando di proteggere il mio interlocutore facendo un movimento di censura. Non solo non ho nulla contro la tenerezza dei bambini, ma io scrivendo desideravo che si potesse provare tenerezza nei confronti Nimbo, ma non volevo che questa tenerezza discendesse dal fatto che aveva undici anni. Volevo che si arrivasse alla tenerezza nei suoi confronti facendo un percorso più tortuoso, e che a quel punto la tenerezza fosse nei confronti dell’essere umano, che non fosse una tenerezza d’ordine pubblicitario. Non volevo che nimbo fosse il bambino che fa gli spot del Panettone sulla TV italiana.]
N. B. : Tous les personnages que vos œuvres mettent en scène sont habités par une pulsion mortifère, un désir de destruction qui poussent les enfants du Temps matériel à sombrer dans la violence et à adhérer à la rhétorique brigadiste. Dans Dépaysement, vous écrivez : « Le mal est possible, toujours possible, même sans méchanceté, il peut être léger, presque inconsistant. Infantile, féroce. » . Quelle est la signification à donner à cette présence du mal dans votre œuvre ? Pouvons- nous voir une lueur d’espoir dans la décision finale de Nimbe dans Le temps matériel d’épargner Wimbow ?
GIORGIO VASTA : J’ai donné des éléments de réponse à cette question en parlant du comportement des personnages du Temps matériel après le meurtre de Morana. D’abord intrigués, Nimbe et ses compagnons sont vite fascinés par le fait de pouvoir accomplir le mal, par le fait qu’un corps puisse être plus fort qu’un autre. C’est un présupposé de nombreuses actions violentes, et c’est un présupposé d’origine biologique, originaire, extra-sociale : « je suis plus fort que vous », donc ils peuvent réaliser cette action. Le mal au sein de l’expérience humaine n’existe pas seul, il existe à l’intérieur d’une dialectique. Quand les êtres humains ont commencé à raconter des histoires, et ils l’ont aussi fait à travers la religion, ils ont décrit le mal comme quelque chose qui s’oppose in situ au bien. Beaucoup de penseurs soutiennent que le bien est inhérent, interne, originaire. Ensuite, il y a quelque chose qui vous fait dévier. Et puis le bien revient, chasse le mal et remet en ordre le monde. Prenons des exemples relevant des textes sacrés, de la littérature. Au moment où le père s’apprête à tuer son fils, l’ange arrête sa main et lui dit qu’il ne peut pas aller plus loin, qu’il ne doit pas accomplir le mal. À un certain moment, la littérature fait siennes l’élaboration, la métabolisation, le récit du mal. Crime et châtiment de Dostoïevski est à cet égard central. Dans ce roman, le mal est accompli. C’est un mal évitable : un jeune homme voudrait cambrioler la maison d’une vieille prêteuse à gages – ce personnage n’est pas très charmant. À l’improviste, Raskolnikov assassine cette vieille dame. Je me suis mis à réfléchir à ce roman, à l’importance qu’il avait pour moi, pendant que j’écrivais Le temps matériel. Dostoïevski concentre la majeure partie de son roman sur le repentir, qui n’est pas immédiat. Au début, Raskolnikov donne des justifications morales à son acte, il dit : « au fond, cette femme était une personne terrible », ce qui n’est pas une raison – peu importe qui il y a en face – pour en justifier le meurtre. De l’autre côté, il dit « avec cet argent que j’ai volé, je vais financer mes études, et mes études me serviront à devenir... disons avocat et à défendre les faibles. ». On donne donc une justification au mal : j’ai fait le mal pour pouvoir faire le bien dans le futur. Dostoïevski raconte le tourment de ce garçon. Son repentir n’est pas suffisant, à un niveau personnel, il doit y avoir aussi un repentir externe, en rapport avec la structure sociale. Lorsque j’avais terminé les premières épreuves du Temps matériel, un éditeur m’a dit : « C’est comme si tu avais oublié de raconter le repentir de tes personnages ». Mais moi je ne l’ai pas oublié, je l’ai exclu. Je me rappelle de la conversation que nous avions eue, qui avait été très dense, je lui avais répondu : « Personnellement, sur le plan moral, je continue à donner du crédit au repentir, je le comprends comme une tentative de lire de façon critique le mal, en faisant confiance au niveau individuel, au niveau collectif à une idée du bien. Moi, je continue à croire en Raskolnikov. » Mes personnages, à l’intérieur de ce récit n’y croient pas. Nimbe n’a jamais, pas même à la fin, un moment où il se dit, où il dit au lecteur « Je me suis trompé ». Il fait l’expérience de la douleur mais les raisons pour lesquelles il empêche le projet de séquestration de la petite fille créole ne sont pas éthiques. Il ne se dit pas « nous nous sommes trompés, nous avons accompli le mal ». Il a une raison personnelle : il ne veut pas qu’on fasse du mal à Wimbow. Si au cœur du nouveau projet des trois camarades il y avait eu quelqu’un d’autre à la place de la petite fille créole, peut-être que Nimbe n’aurait aucune objection d’ordre moral. C’est un personnage que je considère ambigu jusqu’à la fin, ce n’est pas un personnage qui utilise les dernières lignes de l’histoire pour se repentir, pour faire les comptes avec l’expérience du mal. Et tout cela parce qu’à un certain point, j’ai eu le sentiment que le repentir continue d’être quelque chose auquel nous nous référons dans le domaine de l’éthique, lorsque nous décrivons la dialectique entre le bien et le mal, sans qu’en réalité nous y croyions véritablement. C’est comme un objet d’antiquaire. On nous a dit que c’est beau, que c’est important, nous nous y fions, nous ne discutons pas plus que cela le fait qu’il soit beau ou non, nous le tenons là. Mais en substance, cet objet ne nous représente plus. Moi, j’ai le sentiment que dans l’horizon référentiel, le repentir n’est plus vraiment une expérience profonde de l’être humain, je pense, à la limite, qu’il est simulé. Il survient un fait divers horrible, un meurtre, et en général, arrive ce moment où l’avocat raconte que le coupable passe son temps à pleurer, qu’il se repend. C’est comme s’il y avait, dans la sensation que j’en ai, un barrage, un diaphragme, un obstacle. Ce n’est pas que nous ne voulons pas nous repentir, c’est que nous n’y arrivons plus, peut-être parce que dans notre expérience, un sentiment tragique de la vie n’est plus central. Peut-être Œdipe trouverait-il aujourd’hui une solution, mais je ne crois pas qu’après avoir découvert qu’il a tué son père et fait l’amour avec sa mère, il se suiciderait. Nous vivons à l’intérieur d’un sentiment tragique des choses et en même temps de leur relativisation, de leur insignifiance. Aucune n’est déterminante, aucune n’est définitive, décisive. Nimbe et ses copains décident d’être coupables, ils veulent être coupables, en ce sens, ils regardent avec admiration l’expérience brigadiste. J’ai eu le sentiment que la culpabilité était une pensée un peu infantile. Il serait judicieux de parler en termes de responsabilité. Mais quand vous ne réussissez pas à parler de responsabilité, vous vous contentez de la version mineure de la responsabilité, éventuellement en négatif, qui est la culpabilité. En regardant les choses selon une perspective historique, c’est comme si la génération de ceux qui ont séquestré, tué, pendant les années soixante-dix avait dit : « Nous ne réussissons pas à être autre chose et donc, nous devons à tout prix être coupables ». Il y a quelque chose de terrible dans le fait de se dire « Je n’ai pas d’autre moyen d’être un sujet dans l’histoire, il n’y a pas d’autre action reconnaissable, transformatrice si ce n’est l’action destructrice, si ce n’est tuer quelqu’un ». C’est une pensée limite, qui exprime un état de désespoir profond et inacceptable.
[Una parte della risposta l’ho data poco fa ragionando del comportamento dei protagonisti del Tempo materiale dopo l’uccisione di Morana. Quei personaggi sono incuriositi, poi affascinati dal fatto in sé di potere compiere il male, dal fatto che un corpo possa essere più forte di un’altro corpo. È il presupposto di molte azioni violenti, ed è un presupposto davvero d’origine biologico, originario, extrasociale : sono più forte di te, quindi posso compiere quest’azione. Il male, dentro l’esperienza umana, non esiste da solo, esiste all’interno di una dialettica. Quando gli esseri umani hanno iniziato a raccontare storie, e hanno raccontato storie anche attraverso la religione, hanno raccontato che il male è qualcosa che si contrappone al bene. Molti pensatori sostengono che il bene sia insito, interno, originario. Poi c’è qualcosa che ti fa deviare. Poi torna il bene che caccia via il male e rimette in ordine il mondo. Faccio degli esempi tra testi sacri e letteratura. Nel momento in cui il padre sta per uccidere il figlio, l’angelo blocca la sua mano e gli dice che non può andare avanti, che non deve compiere il male. A un certo punto, la letteratura fa sue l’elaborazione, la metabolizzazione, il racconto del male. Si arriva a Diletto e Castigo di Dostoievski che è centrale. In quel romanzo, il male viene compiuto. È un male evitabile : un’uomo giovane vorrebbe rubare la casa di una donna anziana che presta soldi ; non è un personaggio carino quello di lei. E imprevedibilmente Raskolnikov uccide questa vecchia donna. Mi sono messo a ragionare su questo romanzo, sull’importanza che aveva per me mentre scrivevo Il Tempo materiale. Concentra la maggior parte del romanzo sul pentimento, che non è immediato. All’inizio Raskolnikov sta nelle giustificazioni morali. Dice : « in fondo quella donna era una persona terribile », che non è un motivo, chiunque sia l’altro, per giustificarne l’uccisione. Dall’altro lato, dice « Io con questi soldi che ho rubato, mi pago gli studi, e gli studi mi serviranno a diventare... mettiamo avvocato e a difendere i deboli ». Si dà una giustificazione : ho compiuto il male per poter compiere in futuro il bene. Dostoievski racconta il tormento di questo ragazzo. Non è sufficiente il suo pentimento a un livello personale, deve esserci anche un pentimento esterno, in rapporto con la struttura sociale. Quando avevo finito le prime stesure del Tempo materiale, un editore mi aveva detto : è come se tu ti fossi dimenticato di raccontare il pentimento dei tuoi protagonisti. Io non l’ho dimenticato, l’ho escluso. Ricordo la conversazione, che era stata molto densa perché dicevo « io personalmente, sul piano morale, continuo a dare credito al pentimento, intendendolo come un tentativo di leggere criticamente il male, dando fiducia al livello individuale, al livello collettivo a un’idea del bene. Io continuo a credere in Raskolnikov. I miei personaggi all’interno di questo racconto non ci credono. Nimbo non ha mai, nemmeno nel finale, un momento nel quale dice a se stesso, dice al lettore « Ho sbagliato ». Sperimenta il dolore ma le ragioni per le quali sventa il progetto di sequestrare la bambina creola non sono etiche. Non è che dice a se stesso « abbiamo sbagliato, abbiamo compiuto il male ». Lui ha una ragione personale : non vuole che venga fatto del male alla bambina creola. Se invece della bambina creola, al centro del nuovo progetto dei tre compagni di classe, ci fosse stato un altro, Nimbo, magari, non avrebbe nessun’obiezione d’ordine morale. È un personaggio che considero fino alla fine ambiguo, non è un personaggio che usa l’ultimo tratto della storia per redimersi, per fare i conti con l’esperienza del male. E tutto questo perché a un certo punto ho avuto la sensazione che il pentimento continui a essere qualcosa a cui ci riferiamo in ambito etico nel descrivere la dialettica tra il bene e il male, ma qui in realtà non crediamo. E come un’oggetto d’antiquariato. Ci hanno detto che è bello, ci hanno detto che è importante, noi ci fidiamo, non discutiamo più di tanto del fatto che sia bello o brutto, lo teniamo lì. Ma nella sostanza, non ci rappresenta. Io ho la sensazione che nell’orizzonte di riferimenti, il pentimento non sia più davvero un’esperienza profonda dell’essere umano, credo che al limite sia simulato. Avviene un fatto terribile di cronaca, un’uccisione, e arriva di solito quel momento in cui l’avvocato racconta che il colpevole passa il tempo piangendo e si ripente. È come se ci fosse, nella sensazione che ho io, una diga, un diaframma, un ostacolo. Non è che non vogliamo pentirsi, non ci arriviamo più, forse perché non è più centrale nella nostra esperienza un senso tragico della vita. Oggi Edipo forse troverebbe una soluzione, ma non credo che scoperto di aver ucciso il padre, di aver fatto l’amore con la madre si ucciderebbe. Non viviamo dentro un sentimento tragico delle cose ma dentro un senso di relativizzazione delle cose e allo stesso tempo di irrilevanza delle cose stesse. Nulla è determinante, nulla è ultimo, decisivo. L’ultima cosa è questa : Nimbo e i suoi compagni decidono di essere colpevoli, vogliono essere colpevoli, guardano in questo senso con ammirazione l’esperienza brigatista. Ho avuto la sensazione che la colpa sia un pensiero un po’ infantile. Avrebbe senso ragionare in termi di responsabilità. Ma quando non riesci a ragionare in termini di responsabilità, ti accontenti della versione minore della responsabilità, eventualmente in negativo, che è la colpa. Provando a guardare le cose in una prospettiva storica, è come se la generazione di chi ha sequestrato, ucciso, durante gli anni settanta, è come se avessero detto : « non riusciamo a essere qualcosa d’altro » e dunque dobbiamo ad ogni costo essere colpevoli. C’è qualcosa di terribile nel dirsi « non ho altro modo per essere un soggetto all’interno della storia, non c’è un’altra azione riconoscibile e trasformativa se non quella distruttiva, se non uccidere qualcuno ». È un pensiero limite. È chiaro che c’è uno stato di disperazione profonda e inaccettabile in tutto questo.]
N.B. Le collectif d’écrivains Wu Ming a publié un manifeste qui s’identifie avec une contre-culture politique anticapitaliste et relève un retour de l’Impegno dans la littérature contemporaine. Parmi les points majeurs des tendances littéraires actuelles, Wu Ming note le recours à l’allégorie et l’importance d’un imaginaire permettant d’ouvrir à un « nouveau réalisme » qui n’a plus rien à voir avec le néo- réalisme d’après-guerre. Il y a cet égard de nombreux points communs entre l’esthétique de la New Italian Epic promue par Wu Ming et votre propre pratique romanesque. L’allégorie est, par exemple, une forme privilégiée dans Le temps matériel et dans Dépaysement ; de nombreux passages décrivent des évènements inexplicables qui relèvent du fantastique ou plutôt d’un surnaturel intégré au réel, qui ne suscite jamais la suspicion des personnages. Vous identifiez-vous à ce mouvement ?
GIORGIO VASTA : Mon rapport au collectif Wu Ming est celui d’un lecteur. J’ai lu et je lis leurs livres, ils ont eu une importance – je ne sais pas s’ils ont eu aussi une influence, parce qu’après tout, des auteurs auxquels vous avez porté attention vous influencent tout autant que des auteurs et des écritures que vous avez fréquentés de manière impromptue, rapidement. Je sais qu’il y a des auteurs, des livres qui sont plus centraux dans ma formation, dans mon expérience. Cela ne ne signifie pas que d’autres auteurs ne peuvent pas inspirer ma façon de voir les choses. Les influences sont justement souvent imprévisibles. J’ai beaucoup suivi l’œuvre narrative de Wu Ming au temps de la New Italian Epic en 2007, je n’avais pas encore publié mon premier livre. En ce qui concerne la religion, je ne suis pas croyant, j’ai reçu une éducation italienne traditionnelle typique, ce qui ne signifie pas qu’elle fut profondément religieuse, catholique. C’est la formation religieuse que l’on pouvait recevoir à la fin des années soixante dans une famille de la moyenne bourgeoisie palermitaine, avec un rapport formel à l’Église ; nous n’allions pas à la messe le dimanche, mais on se considérait comme croyants. Pour moi, la religion est avant tout un réservoir d’images. Dans Le temps matériel, la voix narrative dit que la Pierre lit le soir à ses fils les histoires qui viennent de La Plus Grande Histoire jamais contée . Pour moi, la religion, c’est cela : c’est un ensemble de témoignages très brefs, discursifs, d’images très emphatiques. Enfant, je parcourais ces pages. En écrivant, j’ai procédé de mémoire mais je suis aussi allé reprendre des livres conservés au cours du temps qui constituent une référence culturelle ou plutôt pré-culturelle pour moi. Les images, les dramaturgies constitutives pour moi sont celles-là : elles proviennent de La Plus Grande Histoire jamais contée, elles proviennent d’autres livres lus enfant, des fables sonores que j’écoutais sur le tourne-disque, elles proviennent des récits oraux, de ces histoires qui n’étaient pas forcément organisées, qui pouvaient être des anecdotes, des faits minimes, évoquées au déjeuner ou au dîner. Mais il y avait un unique détail qui te marquait. Moi, au lieu de l’oublier, en grandissant, c’est comme si je m’en souvenais toujours plus. Des éléments qui devraient rester lointains, en racontant, surgissent au premier plan. Dans Le temps matériel, Nimbe raconte que quelqu’un lui a dit que les requins sont des animaux domestiques en Afrique. J’ai écrit cette phrase parce que, lorsque j’allais à l’école primaire, un petit garçon plus vif que moi, plus affabulateur, en revenant de l’école, m’avait raconté cela, et moi je croyais à tout. Aujourd’hui j’en viens à dire : « Heureusement que j’y ai cru ! Heureusement que j’ai été dupé, que j’ai été trompé, que j’ai été à l’intérieur de l’illusion du récit ! » Parce que, lorsque ce petit garçon me racontait son histoire, moi je visualisais les contours de la mer, les requins qui se meuvent. J’en viens à dire que le niveau de vérité de ces images est inviolable. Au fond, moi je continue à croire au fait qu’en Afrique les requins sont des animaux domestiques, parce que, petit, une image s’est fichée quelque part dans les circonvolutions de mon cerveau. Dans mon imagination le petit garçon a pris forme, et donc cette chose existe. Les images narratives ne peuvent pas être démenties, parce qu’elles produisent leur propre vérité et sont autonomes. Le fantastique pour moi n’est pas une stratégie d’expression, une zone de transfiguration du récit, mais l’unique manière pour le récit d’exister. Cela signifie que la réalité est douteuse, qu’elle est fantasmée, incertaine, elle est le canard et le lapin à la fois. Dans l’expérience littéraire, le réel est le fantastique, ce n’est pas une autre chose à laquelle vous parvenez en suivant un chemin tortueux, il est toujours là, peut-être parce que la réalité, de la manière dont elle est normalement comprise, est si peu, si insuffisante que vous ne pouvez pas accepter de voir seulement le canard ou seulement le lapin. Je n’ai pas à adopter un certain comportement, je ne me dis pas : « Désormais, je me mets à imaginer », non, la réalité se manifeste sous une forme déjà imaginée, déjà incertaine, mélangée. À un niveau personnel, moi je n’ai ni l’ambition, ni la force de donner forme à un imaginaire qui pourrait se substituer à l’imaginaire collectif. Je sais que je n’ai pratiquement pas connaissance de la réalité telle qu’elle est normalement comprise. Je sais quelque chose de l’imaginaire, ce n’est pas comme si j’étais revenu de la lune depuis hier. Peut-être que ce qui arrive aux gens, c’est cela : leur imagination prend toujours plus la place, et de façon toujours plus radicale, sur leur imaginaire. Si une personne lit encore le monde selon son imaginaire, quelle perte de temps si elle ne s’est pas conquis un regard propre, avec toutes les limites de ce regard, mais aussi avec toutes ses ressources…. Elle ne sait pas ce qu’elle y perd.
[Il mio rapporto col collettivo Wu Ming è il rapporto di un lettore. Ho letto e leggo i loro libri, hanno avuto un’importanza, non so se anche un’influenza perché poi ti influenzano autori e scritture su cui ha concentrato la tua attenzione, ma anche autori e scritture che hai frequentato in modo estemporaneo, veloce. So che ci sono autori, libri che sono più centrali nella mia formazione, nella mia esperienza. Questo non vuole dire che altri autori non siano finiti nel mio modo di guardare le cose. Le influenze sono appunto spesso imprevedibili. Ho seguito tanto l’opera narrativa di Wu Ming ai tempi del New Italian Epic nel 2007, io non aveva ancora pubblicato il primo libro. Rispetto alla religione, io non sono credente, ho ricevuto una formazione tipicamente italiana, che non significa profondamente religiosa, cattolica. Ho ricevuto una formazione, che è una formazione religiosa che poteva esserti impartita alla fine degli anni sessanta in una famiglia della media borghesia palermitana, con un rapporto formale alla Chiesa, non si andava a messa la domenica, però ci si riteneva credenti. Per me, la religione è prima di tutto un patrimonio di immagini. Nel Tempo materiale, la voce narrante dice che la Pietra, la sera, legge ai figli, le storie che arrivano da La più grande storia mai raccontata. Per me, la religione è questo : è un insieme di testi molto brevi, discorsivi e di immagine molto enfatiche che sottolineano i passaggi, i momenti. Da piccolo, guardavo le pagine. Un po’ sono andato a memoria, un po’ sono andato a riprendere libri che sono stati conservati nel corso del tempo e che per me costituiscono un riferimento culturale, ma in realtà è come se fosse preculturale. Nel bene o nel male, le immagini, le dramaturgie per me costituitivi sono queste : arrivano dalla Più grande storia mai raccontata, arrivano da altri libri che mi venivano letti da piccolo, dalle fiabe sonore che ascoltavi dentro i « mangiadischi », arrivano dal racconto orale, da quelle storie che non per forza erano storie organizzate, potevano essere episodi, dei fatti minimi che vengono evocati a pranzo, a cena. Però c’era un singolo dettaglio che ti colpiva. Io invece di dimenticarlo, crescendo, è come se l’avessi ricordato sempre di più. Degli elementi che dovrebbero rimanere lontani, raccontando, si conquistavano una specie di primo piano. Nel Tempo materiale, Nimbo racconta che qualcuno gli ha detto che in Africa gli squali sono come animali domestici. Ho scritto queste frasi perché quando frequentavo le scuole elementari, un ragazzino più sveglio di me, più narratore, tornando da scuola, mi aveva raccontato questa cosa, e io credevo a tutto. E mi viene da dire : Per fortuna che ho creduto a tutto, per fortuna che sono stato preso in giro, che sono stato raggirato, che sono stato dentro l’illusione del racconto ! Perché quando quel ragazzino mi raccontava degli squali assimilati ad animali domestici, io visualizzavo, il tratto di mare, i squali che si muovono. Mi viene da dire che il livello di verità di quelle immagini è inviolabile. In fondo, io continuo a credere nel fatto che in Africa gli squali sono animali domestici, perché ha preso da ragazzino un’immagine, si è conficcata, da qualche parte, nelle circonvoluzioni cerebrali, e dunque quella cosa esiste. Le immagini narrative non possono essere smentite perché producono la loro propria verità e sono autonome. Il fantastico per me non è una strategia espressiva, una zona di trasfigurazione del racconto, ma è l’unico modo in cui il racconto può esistere. Significa che la realtà è dubbiosa, è duck/rabbit, è incerta, è fantasticata. Nell’esperienza letteraria, il reale è il fantastico, non è un’altra cosa alla quale arrivi seguendo un percorso complicato, è sempre lì, probabilmente perché la realtà per come viene normalmente intesa, è così poco, è così insufficiente che non puoi accettare di vedere solo Duck o solo Rabbit. Non c’è da attivare da parte mia un comportamento, non mi dico : « adesso mi messo a fantasticare », no, la realtà si manifesta in una forma già fantasticata, già incerta, mescolata. A un livello personale, io non né l’ambizione né la forza di dar forma a un immaginario che possa sostituirsi all’immaginario condiviso. A un livello personale, io so che non ho praticamente conoscenza della realtà per come viene normalmente intesa. So qualcosa dell’immaginario, non è che sono sceso dalla luna da ieri. Mi viene da dire che forse quello che accade alle persone è questo : la loro immaginazione prendre sempre più il posto, in modo sempre più radicale, dell’immaginario. Se una persona legge il mondo ancora in relazione all’immaginario... che spreco di tempo ! Se non si è conquistata un suo sguardo, con tutti i limiti di questo sguardo, ma anche con tutte le sue risorse non sa che si perde.]