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Entretien avec Giorgio Vasta, réalisé par Nadia Bouothmane le 27/06/2022

Entretien avec Giorgio VASTA, réalisé par Nadia BOUOTHMANE le 27/06/2022

Retranscription d’un entre­tien oral réa­lisé le 27/06/2022 par Nadia BOUOTHMANE, relu et cor­rigé par Marianne FINK, avec les contri­bu­tions de Chiara JUGÉ, Michele COSCIA e Elena MAZZOLENI.

N. B : Dans Le temps maté­riel et dans Dépaysement, vous décri­vez une Palerme qui repré­sente toute l’Italie, une Italie malade. Frappée par une « mélan­co­lie phy­sio­lo­gi­que », sem­bla­ble à une Thèbes pes­ti­fé­rée, la ville semble à l’agonie, par­ve­nue à son stade ter­mi­nal. Lorsqu’on y regarde de plus près, nous décou­vrons qu’il s’agi­rait peut-être d’une mala­die pro­pre­ment poli­ti­que. Le nar­ra­teur de Dépaysement évoque le « coma des finan­ces loca­les », la ques­tion de la cor­rup­tion et de la cri­mi­na­lité. Quelle serait, selon-vous, cette mala­die ? Celle-ci a-t-elle la même signi­fi­ca­tion que ce qu’Arbasino décri­vait dans In questo stato comme « l’apha­sie du sens pra­ti­que » , le « il faut que tout change pour que rien ne change » du Guépard  ?

GIORGIO VASTA : Tout d’abord, je vous remer­cie de nous donner l’occa­sion de réflé­chir ensem­ble et de votre inté­rêt pour ce que j’ai écrit. Je vais essayer de répon­dre à cette ques­tion très struc­tu­rée, qui engage toute une série de réfé­ren­ces lit­té­rai­res. Je vais essayer de dire quel­ques mots sur ce qui me semble être le mot-clef de la ques­tion, le mot mala­die, en cla­ri­fiant ce que j’ai l’inten­tion de ne pas faire, même si l’équivoque est pos­si­ble. Dans mes inten­tions, il n’y a pas de mora­lisme, ni un cer­tain type de cri­ti­que qui cen­su­re­rait des com­por­te­ments en consi­dé­rant qu’ils ne sont pas bons. De mon point de vue, le dis­cours lit­té­raire est un dis­cours sur l’humain, et l’humain ne se laisse ni affron­ter ni faci­le­ment résou­dre, encore moins à tra­vers une dis­tinc­tion nette entre gen­tils et méchants, entre ce qui est sain et ce qui est malade. Je me retrouve sou­vent à parler de Palerme, j’écris sur Palerme parce que c’est la ville où je suis né et où j’ai grandi, et dans laquelle je suis retourné vivre après vingt ans passés ailleurs, à Turin et sur­tout à Rome. Chaque fois que je parle de Palerme, je n’uti­lise pas son nom. Mon dis­cours sur la ville est très peu objec­tif, comme si la ville était tou­jours un pré­texte, une pro­vo­ca­tion pour acti­ver le lan­gage, pour le faire surgir, pour lui donner une arti­cu­la­tion, une exten­sion, pour cons­truire des images. Je n’arrive pas à acti­ver le lan­gage à partir d’un état d’esprit tran­quille, il me faut un esprit conflic­tuel. La lit­té­ra­ture pro­pose de nom­breu­ses situa­tions où les écrivains se met­tent à écrire à partir d’un besoin de contraste par rap­port à leur ville d’ori­gine. Céline ne par­donne rien aux Français, Thomas Bernard consi­dère Salzbourg comme la ville la plus igno­ble d’Europe, Kafka appelle Prague « petite mère ». Cela ne signi­fie pas qu’il n’y a pas d’affect, ou de la ten­dresse, mais cela signi­fie que c’est comme si ce lieu vous avait pro­vo­qués ou insul­tés, et que vous, en écrivant, vous réa­gis­siez à cette insulte. Les villes, les lieux n’en veu­lent à per­sonne, ce ne sont pas des enti­tés avec une volonté ou une inten­tion. Chaque écrivain, lorsqu’il nomme un lieu, convo­que un fan­tôme, un besoin de conflit. Dans le milieu lit­té­raire, les villes devien­nent des fan­tô­mes. Je n’ai rien à dire d’un point de vue objec­tif sur l’admi­nis­tra­tion de Palerme, parce que je n’en ai pas la com­pé­tence tech­ni­que. Quand j’ai parlé du maire de Palerme, je réflé­chis­sais en réa­lité sur les struc­tu­res rhé­to­ri­ques à tra­vers les­quel­les il a ima­giné et décrit la ville, je n’ai jamais vrai­ment parlé de Palerme. Sur inter­net, on trouve un texte que j’avais écrit pour Manifesta, qui est la bien­nale d’art contem­po­rain qui s’est tenue en 2018 à Palerme . Pour un cata­lo­gue qui avait été réa­lisé, j’avais jus­te­ment écrit un texte sur le nom Palerme, sur ce que j’entends par là, les fan­tas­mes qui sont réveillés quand j’uti­lise ce terme. Peut-être que toutes les fois que je l’emploie de manière agres­sive, je suis tou­jours en train de parler de moi, c’est à moi que j’en veux, c’est à moi que je ne par­donne rien. En écrivant, j’ai besoin de faire sem­blant qu’il y a un élément exté­rieur. Palerme fait partie d’une sorte de jeu un peu schi­zo­phrène, mais pas au sens patho­lo­gi­que, qui se mani­feste ensuite dans l’écriture. En ce qui concerne la mala­die, ce qui m’inté­resse, ce n’est pas de faire un dis­cours mora­liste. La mala­die me fas­cine car elle crée les condi­tions de deux expé­rien­ces : l’expé­rience de la vul­né­ra­bi­lité d’une part (un orga­nisme qui devient davan­tage cons­cient de lui-même devient plus atten­tif à ce qu’il y a autour, parce que l’espace n’est plus neutre, les choses peu­vent vous faire mal, si vous n’êtes pas bien, vous ralen­tis­sez, vous deve­nez plus pru­dents : on l’observe chez les ani­maux, qui, quand ils sont mala­des, modè­lent leur mou­ve­ment sur l’espace alen­tour), ce qui signi­fie rendre la connais­sance que nous avons du monde encore plus pro­fonde, et d’autre part, l’expé­rience du comi­que. La matière qui s’abîme, qui se décom­pose, c’est aussi quel­que chose de comi­que : un corps qui se meut fati­gue dans l’espace, vous pouvez l’obser­ver avec mélan­co­lie, mais il y a aussi quel­que chose de la marion­nette, quel­que chose d’un peu cassé. Lorsque nous regar­dons les voi­tu­res d’il y a trente ans, il y a un peu de cela, de quel­que chose d’à la fois émouvant et comi­que. En ce sens, c’est comme si Palerme était une ville phy­sio­lo­gi­que­ment, éternellement malade. Sa patho­lo­gie n’est pas un fait extrême, excep­tion­nel. C’est struc­tu­rel­le­ment un corps malade. En cela, il y a quel­que chose de ter­ri­ble et de pro­fon­dé­ment fas­ci­nant. Cette ville pos­sède un équilibre quand per­sonne ne la gou­verne vrai­ment à tra­vers la loi. Dès qu’inter­vient le droit, la ville perd son équilibre. La conges­tion du trafic rou­tier, les voi­tu­res en triple file, les com­por­te­ments arro­gants lui don­nent une forme d’équilibre. Un rap­port de poids et de contre­poids qui ne sont pas ver­tueux, mais qui sont tous liés à des com­por­te­ments déviants fonde son équilibre : si vous essayez de modi­fier ces rap­ports de force avec des contra­ven­tions, la ville devient com­plè­te­ment folle. Palerme dans son quo­ti­dien est modé­ré­ment folle, si vous cher­chez à la soi­gner, elle empire.

[Grazie intanto per l’occa­sione di ragio­nare insieme e per l’atten­zione nei confronti di quello che ho scritto. Provo a ris­pon­dere a questa domanda molto arti­co­lata, che attiva tutta una serie di rife­ri­menti let­te­rari. Provo a dire qual­cosa sulla parola chiave della domanda, la parola malat­tia, pro­vando a dire quello che non intendo di fare, anche se esiste la pos­si­bi­lità di un equi­voco. Nelle mie inten­zioni non c’è il mora­lismo, non c’è un certo tipo di cri­tica che cen­sura alcuni com­por­ta­menti consi­de­ran­doli sba­gliati. Dal mio punto di visto il dis­corso let­te­ra­rio è un dis­corso sull’umano, e l’umano non si lascia facil­mente né affron­tare né risol­vere, tanto meno si lascia risol­vere attra­verso una dis­tin­zione netta tra buoni e cat­tivi, tra ciò che è sano e ciò che è amma­lato. Io mi trovo spesso a par­lare di Palermo, scrivo di Palermo perché è la città dove sono nato e cres­ciuto, la città nella quale sono tor­nato a vivere dopo vent’anni pas­sati in altri posti, a Torino e a Roma soprat­tutto. Tutte le volte in cui parlo di Palermo, non uti­lizzo la parola Palermo. Io faccio un dis­corso mini­ma­mente ogget­tivo sulla città : è come se la città fosse sempre un pre­testo, una pro­vo­ca­zione per atti­vare il lin­guag­gio, per fare acca­dere il lin­guag­gio, per dargli un’arti­co­la­zione, un’esten­sione, per cos­truire imma­gini. Non riesco ad atti­vare il lin­guag­gio a par­tire da uno stato d’animo tran­quillo, ho biso­gno di uno stato d’animo conflit­tuale. La let­te­ra­tura pro­pone tante situa­zioni in cui gli scrit­tori si met­tono a scri­vere a par­tire da un biso­gno di contrasto nei confronti di quella che è la loro città di ori­gine. Passando per un ambito fran­cese, Céline non per­dona nulla ai fran­cesi, Thomas Bernard consi­dera Salisburgo la città più igno­bile di tutta Europa, Kafka des­crive Praga con la parola « matri­gna ». Non signi­fica che non ci sia un affetto, anche una tene­rezza nei confronti di questi luoghi, ma signi­fica che è come se uno di questi luoghi ti avesse pro­vo­cato o insul­tato ed è come se scri­vendo tu rea­gissi a quest’ insulto. Le città, i luoghi, non ce l’hanno con nes­suno, non sono delle entità con una volontà o un’inten­zione. Ogni scrit­tore quando nomina un luogo, sta convo­cando un fan­tasma, un biso­gno di conflitto. Le città, in ambito let­te­ra­rio, diven­tano dei fan­tasmi. Non ho nulla da dire dal punto di vista ogget­tivo sull’ammi­nis­tra­zione di Palermo, perché non ho una com­pe­tenza tec­nica. Le volte in cui quale ho par­lato del sin­daco di Palermo, in realtà riflet­tevo sulle strut­ture reto­ri­che attra­verso le quali lui ha imma­gi­nato e des­critto la città, non parlo mai dav­vero di Palermo. C’è in rete un testo che avevo scritto per Manifesta, che è la bien­nale d’arte contem­po­ra­nea che nel 2018 si è tenuta a Palermo, e per un cata­logo che è stato rea­liz­zato, avevo scritto un testo pro­prio sulla parola Palermo, su che cosa intendo, su quali sono i fan­tasmi che ven­gono atti­vati quando uti­lizzo questa parola. Forse, tutte le volte in cui uti­lizzo la parola Palermo in una chiave aggres­siva, sto sempre par­lando di me, ce l’ho con me, è a me che non per­dono nulla. Scrivendo ho biso­gno di far finta che ci sia un ele­mento esterno. Palermo è parte di una specie di gioco un po’ schi­zo­fre­nico, non in senso pato­lo­gico, che si mani­festa poi nella scrit­tura. Rispetto alla malat­tia, quello che mi inte­ressa, non è di fare un dis­corso mora­lis­tico. La malat­tia mi affas­cina perché crea le condi­zioni per due espe­rienze : la vul­ne­ra­bi­lità (un’orga­nismo che diventa più cos­ciente di se stesso, diventa più cos­ciente di quello che c’è intorno, perché lo spazio non è più neutro, le cose pos­sono farti male, se non stai bene, ral­lenti, diventi più pru­dente : l’osser­viamo con gli ani­mali che model­lano il pro­prio movi­mento quando sono malati sullo spazio intorno), che signi­fica ren­dere ancora più pro­fonda la conos­cenza che abbiamo del mondo, e il comico. La mate­ria che si rovina, che si dis­trugge è anche qual­cosa di comico : un corpo che si muove affa­tica nello spazio, lo puoi l’osser­vare in modo malin­co­nico ma c’è anche qual­cosa della mario­netta, qual­cosa di un po’ rotto. Quando guar­diamo le mac­chine di 130 anni fa, c’è qual­cosa di movente e di comico. In questo senso, è come se Palermo fosse una città fisio­lo­gi­ca­mente, eter­na­mente malata. La sua pato­lo­gia non è un fatto ecce­zio­nale, estremo. È strut­tu­ral­mente un corpo malato. In questo, c’è qual­cosa di ter­ri­bile e di pro­fon­da­mente affas­ci­nante. Questa città ha un equi­li­brio quando nes­suno dav­vero la sta gover­nando attra­verso la legge. Appena inter­viene il diritto, la città perde equi­li­brio. Il traf­fico conges­tio­nato, le mac­chine in tripla fila, la pre­po­tenza nei com­por­ta­menti sono una forma di equi­li­brio della città. La città è fon­data su un rap­porto di pesi e contrap­pesi che non sono vir­tuosi, sono tutti legati a dei com­por­ta­menti ingiusti. Ma questo porta l’equi­li­brio : si tu provi a modi­fi­care questi rap­porti con delle contrav­ven­zioni, la città impaz­zisce com­ple­ta­mente. Questa città nel suo quo­ti­diano è mode­ra­ta­mente pazza, se cerchi di curarla, peg­giora.]

N.B. : Vous uti­li­sez une écriture bio­lo­gi­que, phy­sio­lo­gi­que avec des termes qui font réfé­rence au corps, aux sen­sa­tions ; vous évoquez par exem­ple « l’orga­nisme nommé Italie », mais aussi une taxi­no­mie scien­ti­fi­que, géo­lo­gi­que, qui s’atta­che à la maté­ria­lité des choses. Vos per­son­na­ges sont donc tou­jours saisis avec une cer­taine dis­tance, nous n’avons jamais accès à leur inté­rio­rité, ces der­niers sont réduits à un patro­nyme décou­lant de leurs carac­té­ris­ti­ques phy­si­ques (« Le Fil », « Topinambour ») et essen­tiel­le­ment décrits à partir de leurs pro­ces­sus phy­sio­lo­gi­ques. Pourquoi ce choix ?

GIORGIO VASTA : Je me suis rendu compte qu’en écrivant, j’uti­li­sais des notions, des images issues de ce lexi­que que l’on uti­lise pour décrire la vie des orga­nis­mes. Je ne l’ai pas fait de manière idéo­lo­gi­que, ni même par­ti­cu­liè­re­ment cons­ciente. Je me suis aperçu qu’un cer­tain nombre de méta­pho­res concer­naient le corps, le bio­lo­gi­que. Je ne sais pas exac­te­ment pour quel motif. J’essaie de penser à une pos­si­bi­lité. Les rai­sons réel­les pour les­quel­les l’écriture prend telle ou telle forme, l’auteur ne les connaît pas néces­sai­re­ment bien. Parmi l’ensem­ble des phé­no­mè­nes bio­lo­gi­ques, celui qui m’attire le plus, c’est que nous sommes en train de parler de matière, un terme cen­tral dans ce que j’ai écrit jusqu’ici. La matière est un fait lit­té­raire, elle n’en veut à per­sonne. Le com­por­te­ment de la matière n’est ni géné­reux ni hos­tile, même lors­que ses méta­mor­pho­ses sont ter­ri­bles. Les cel­lu­les qui devien­nent can­cé­ri­gè­nes dans un orga­nisme ne sont pas des cel­lu­les inten­tion­nel­le­ment mal­veillan­tes. Le pré­da­teur qui tue sa proie et la mange agit d’une manière qui est en même temps ago­nis­ti­que - parce que la course est un fait ago­nis­ti­que - et indif­fé­rente. Le tigre n’a rien contre la gazelle. J’ai une fas­ci­na­tion pro­fonde pour la vie ani­male, que j’observe aussi à partir des cir­cons­tan­ces quo­ti­dien­nes : j’habite une maison où nidi­fient les hiron­del­les et je passe mes jour­nées à les écouter chan­ter. Et déjà le terme « chan­ter » évoque la fable alors que le chant que pro­dui­sent les hiron­del­les sert à com­mu­ni­quer : elles ne chan­tent pas parce qu’elles sont heu­reu­ses. C’est leur vol qui est magni­fi­que à regar­der, il n’est pas accom­pli pour des rai­sons esthé­ti­ques, parce que la vie ani­male existe en dehors de tout prin­cipe esthé­ti­que. Vous volez parce que vous êtes en vol, parce qu’il n’y a pas de dif­fé­rence entre le corps, le mou­ve­ment, le chant, cap­tu­rer les insec­tes en l’air et les porter au nid. Comme le disait Giacomo Leopardi, la matière est indif­fé­rente à nos exis­ten­ces, à ce qui arrive aux êtres humains. Ceux-ci se sont inventé un ins­tru­ment qui ne modi­fie pas la vie de la matière, mais la pro­blé­ma­tise. Cet ins­tru­ment, c’est le lan­gage : la lit­té­ra­ture est une volonté de donner un nom aux choses, de créer des noms pour les choses. Les mots don­nent un nom à quel­que chose qui se meut, qui conti­nue de deve­nir. C’est une rela­tion absurde entre quelqu’un de sourd, d’aveu­gle comme la matière, qui ne parle à per­sonne, ne fuit pas, ne pro­vo­que per­sonne, et de l’autre côté, un orga­nisme ner­veux, inquiet comme le lan­gage. Il existe un sketch de théâ­tre dans lequel une per­sonne dort d’un som­meil très pro­fond et une autre conti­nue à lui tou­cher l’épaule pour atti­rer son atten­tion. C’est comme si le lan­gage cher­chait à trai­ter la matière de cette manière. La matière ne com­prend pas le jeu ; le lan­gage est fou. Ce qui est incroya­ble dans la matière, c’est qu’elle s’ignore elle-même. Gianni Celati a une très belle expres­sion, à la fin de son livre Vers le feu : « Chaque phé­no­mène est serein en soi, signi­fiant par-là que chaque phé­no­mène, même la tem­pête, le cata­clysme ont une séré­nité qui leur est propre » . C’est si impres­sion­nant que les êtres humains ont trans­formé les phé­no­mè­nes natu­rels en dieux. Nous avons eu besoin de les regar­der comme on regarde une divi­nité, parce qu’il n’est pas pos­si­ble de penser que le vent ne pro­vienne pas d’une inten­tion. Alors vous inven­tez Éole, vous inven­tez le dieu des vents.

[Mi sono accorto che scri­vendo uti­liz­zavo delle nozioni, delle imma­gini che pro­ven­gono da quello che des­crive la vita degli orga­nismi. Non l’ho fatto in modo ideo­lo­gico, nean­che par­ti­co­lar­mente consa­pe­vole. Mi sono accorto che una certa quan­tità di meta­fore anda­vano verso il corpo, il bio­lo­gico. Non so esat­ta­mente per quale motivo. Provo a imma­gi­nare una pos­si­bi­lità. Le ragioni reali per le quali la scrit­tura prende questa forma non è che neces­sa­ria­mente l’autore le conosce bene. Dentro l’insieme dei feno­meni bio­lo­gici, quello che a me attrae di più è che stiamo sempre par­lando di mate­ria, che è una parola che so ormai essere cen­trale in quello che ho scritto fin qui. La mate­ria è un fatto let­te­ra­rio, non c’è l’ha con nes­suno. Il com­por­ta­mento della mate­ria non è né gene­roso né ostile, anche quando le meta­mor­fosi della mate­ria sono ter­ri­bili. Le cel­lule che diven­tano can­ce­ro­gene in un’orga­nismo non sono cel­lule cat­tive che inten­zio­nal­mente ce l’hanno con qual­cuno. Il pre­da­tore che uccide la preda e la mangia, agisce in un modo che è allo stesso tempo ago­nis­tico, perché la corsa è un fatto ago­nis­tico, però allo stesso tempo indif­fe­rente. Il tigro non ha nulla contro la gaz­zella. Ho una fas­ci­na­zione pro­fonda per la vita ani­male, che osservo anche a par­tire da cir­cos­tanze quo­ti­diane : abito in una casa dove nidi­fi­cano le ron­dini, e le gior­nate pas­sano a sen­tirle can­tarle. E già can­tare ha una conno­ta­zione fia­besca, il verso che pro­du­cono le ron­dini ha una fun­zione di comu­ni­ca­zione : non can­tano perché sono felici. È il loro volo che è bel­lis­simo da guar­dare, non è com­piuto per ragione este­ti­che, perché la vita ani­male esiste al di fuori di un prin­ci­pio este­tico. Voli perché tu sei in volo, perché non c’è una dif­fe­renza tra il corpo, il movi­mento, il verso, cat­tu­rare gli insetti in aria e por­tarli al nido. Come diceva Giacomo Leopardi, la mate­ria è indif­fe­rente alle nostre esis­tenze, a quello che suc­cede agli esseri umani. Gli esseri umani si sono inven­tati uno stru­mento che non modi­fica la vita della mate­ria ma la pro­ble­ma­tizza. Questo stru­mento è il lin­guag­gio : la let­te­ra­tura è la volontà di nomi­nare le cose, di creare nomi per le cose. Le parole nomi­nano qual­cosa che si muove, che conti­nua a diven­tare. È un rap­porto assurdo tra qual­cuno che è sordo, cieco come la mate­ria, che non parla con nes­suno, non fugge, non pro­voca nes­suno, e dall’altro lato, un orga­nismo ner­voso, irre­quieto che è il lin­guag­gio. C’è uno sketch tea­trale in cui hai qual­cuno che dorme in un sonno pro­fon­dis­simo e un altro che conti­nua a toc­car­gli la spalla per richia­marne l’atten­zione, come se il lin­guag­gio cer­casse di trat­tare la mate­ria in questo modo. La mate­ria non capisce il gioco ; il lin­guag­gio è pazzo. Quello che è incre­di­bile nella mate­ria è che è ignara di se stessa. Gianni Celati ha un’espres­sione molto bella, alla fine del suo libro Verso la foce : « Ogni feno­meno è in sé sereno, inten­dendo che ogni feno­meno, anche la tem­pesta, il cata­clisma ha una sua sere­nità ». Questa cosa è così impres­sio­nante che gli esseri umani nel tempo hanno tras­for­mato i feno­meni della natura in dei. Abbiamo avuto biso­gno di guar­darli come si guarda un dio, perché non è pos­si­bile pen­sare che il vento non pro­venga da un’inten­zione. E allora ti inventi Eolo, ti inventi il dio dei venti.]

N.B : En par­lant de matière, vous évoquez sou­vent cette « forme unique » dans laquelle vos per­son­na­ges sont pris, que ce soit l’omni­pré­sence de l’abé­cé­daire ber­lus­co­nien de Dépaysement ou la struc­ture géo­mé­tri­que des phra­ses des com­mu­ni­qués bri­ga­dis­tes ; en bref, la maté­ria­li­sa­tion spa­tiale de l’idéo­lo­gie. Face au déter­mi­nisme, à l’expé­rience de cette forme unique que semble rele­ver le nar­ra­teur de Dépaysement en sou­li­gnant sa « cons­cience de vivre dans un monde récur­sif » , y a-t-il une lati­tude pour l’action humaine, un espace pour la liberté ?

GIORGIO VASTA : Concevoir une forme unique, soli­di­fier le monde en formes rigi­des, tout cela a quel­que chose de la condam­na­tion, quel­que chose de dou­lou­reux. Il peut être ras­su­rant de penser que les choses exis­tent seu­le­ment d’une seule façon mais j’aurais immé­dia­te­ment l’impres­sion de man­quer d’air. Par ambi­guïté, j’entends quel­que chose de struc­tu­rel, comme si tout oscil­lait un peu. La forme n’est jamais tout à fait immo­bile, elle bouge tou­jours un peu comme si l’espace, l’expé­rience, étaient illu­mi­nés par la lumière qu’il y a par­fois en été, en toute fin d’après-midi, avant que n’arrive le soir, quand les ombres s’allon­gent un peu. Alors, vous voyez ces petits mou­ve­ments. On trouve sur inter­net deux images qui syn­thé­ti­sent ce dont je suis en train de parler : la pre­mière est une image du Canard-lapin, une illu­sion d’opti­que très connue et uti­li­sée en psy­cho­lo­gie . C’est ce dessin où, si vous faites la mise au point à un endroit, vous voyez un cane­ton, puis, si vous la chan­gez de manière imper­cep­ti­ble, vous voyez le lapin. C’est comme si cette image était la syn­thèse de ce que je pense du monde : il est tou­jours natu­rel­le­ment canard et lapin en même temps, mais les êtres humains ne peu­vent pas tra­ver­ser l’exis­tence en per­ce­vant la mul­ti­pli­cité des choses. Au quo­ti­dien, nous déci­dons donc que nous voyons le canard ou bien le lapin. La lit­té­ra­ture serait ce dis­po­si­tif que nous nous sommes inventé pour fré­quen­ter l’ambi­guïté des choses. Les formes de l’expres­sion, de la nar­ra­tion ne ser­vent pas à conso­li­der ce que je pense déjà savoir, mais ser­vent à me faire dire : « Je pen­sais que c’était un canard, à l’inverse c’est aussi un lapin, je pen­sais qu’il était cou­pa­ble, mais il est aussi inno­cent », « Je pen­sais qu’il avait tort mais il a aussi raison ». Ce n’est pas une image du aut aut, mais du et et, de la coexis­tence de choses diver­ses, par­fois de choses oppo­sées. Une autre image que j’uti­lise sou­vent comme syn­thèse d’un cer­tain type de per­cep­tion est un dessin de John Berger , un écrivain, essayiste et pein­tre et qui a beau­coup étudié l’expé­rience visuelle. Il a réa­lisé le por­trait d’une dan­seuse espa­gnole qui s’appelle Maria Muñoz. Ce dessin semble mal fait, il semble très sale, le trait n’est pas net, il s’accom­pa­gne d’une ombre, d’un trem­ble­ment, d’une incer­ti­tude. Quand John Berger a décrit com­ment il l’a réa­lisé, il avait dit que tandis qu’il cher­chait la forme juste, il n’a pas effacé les traits par les­quels il avait cher­ché à s’appro­cher du dessin. Le dessin montre le pro­ces­sus, le par­cours du pein­tre. Ce pro­ces­sus est pré­sent dans tout ce qui arrive. Si j’écris un récit, je le réé­cris plu­sieurs fois, les phra­ses se modi­fient, de la même manière que le trait au fusain cher­che les pro­por­tions justes, le mou­ve­ment juste. L’image qui en res­sort se révèle à notre regard un peu plus sale et en même temps un peu plus vivante. La forme ne reste pas immo­bile. Les êtres humains peu­vent agir à plu­sieurs niveaux. Je me rends compte que plus le temps passe, et plus j’ai le sen­ti­ment que les véri­ta­bles actions se mesu­rent à la lon­gueur de nos bras ou de nos jambes. Ce sont des actions qui sont près de nous, qui peu­vent déter­mi­ner des méta­mor­pho­ses dans l’espace. J’ai l’impres­sion que l’his­toire est plus per­ni­cieuse et impré­vi­si­ble que ce que l’on veut bien penser. Imaginons qu’il y ait une évolution, que la somme de nos actions porte à une évolution d’un point de vue éthique. L’humain a une capa­cité, celle de se mou­voir dans le temps en don­nant par­fois l’impres­sion de pro­gres­ser, mais en ayant aussi une pré­dis­po­si­tion à la régres­sion, à détruire ce qu’il a cons­truit. Je pense ici notam­ment à l’arrêt de la Cour suprême amé­ri­caine concer­nant la sus­pen­sion du droit à l’avor­te­ment. Pour une partie de l’opi­nion publi­que, ces ruines sont décri­tes comme des succès, comme une conquête. Nous sommes donc si contra­dic­toi­res, si absur­des poten­tiel­le­ment, et il y a dans cela quel­que chose de ter­ri­ble mais aussi de très beau. À vingt ans, j’étais fas­ciné par l’image d’une action, celle qui consiste à tenter de plan­ter un mor­ceau de bois dans la terre. Le ter­rain n’est pas votre com­plice, il n’est pas mal­léa­ble, il est réfrac­taire, il repousse vos ten­ta­ti­ves. Ce sont là les seules actions à accom­plir, celles qui se révè­lent impos­si­bles. Je conti­nue à avoir une sym­pa­thie, un sen­ti­ment de ten­dresse à l’égard de cette image, et aussi une admi­ra­tion envers un cer­tain type d’uto­pies.

[Se si conce­pisce un’unica forma, se si soli­di­fica il mondo in forme rigide, tutto questo ha qual­cosa della condanna, qual­cosa di dolo­roso. Può essere ras­si­cu­rante pen­sare che le cose stiano solo in un modo, ma la rea­zione imme­diata è come se mi man­casse l’aria. Io ho biso­gno di sen­tire l’ambi­guità di ogni forma. Per ambi­guità intendo qual­cosa di strut­tu­rale, come se tutto oscil­lasse un po’. La forma non è mai del tutto ferma, si muove sempre un poco come se lo spazio, l’espe­rienza fos­sero illu­mi­nati con la luce che c’è a volte nell’estate, nell’ultima parte del pome­rig­gio prima che arrivi la sera, quando le ombre un po’ si allun­gano e quindi vedi questi pic­coli movi­menti. Ci sono due imma­gini che si tro­vano in rete, che sono la sin­tesi di quello di cui sto par­lando : un’imma­gine è quella del Duck/rabbit illu­sion, che è un’illu­sione ottica molto conos­ciuta e uti­liz­zata nella psi­co­lo­gia. È quel dise­gno dove se metti a fuoco in un punto vedi un papero, cambi imper­cet­ti­bil­mente la messa a fuoco e vedi il coni­glio. È come se quella imma­gine fosse la sin­tesi di quello che penso del mondo : è sempre natu­ral­mente duck e rabbit contem­po­ra­nea­mente, ma gli esseri umani non pos­sono tras­corre la vita quo­ti­diana con la per­ce­zione della mol­te­pli­cità delle cose. Durante il quo­ti­diano, deci­diamo che vediamo Duck oppure vediamo rabbit. La let­te­ra­tura è un dis­po­si­tivo che ci siamo inven­tati per fre­quen­tare l’ambi­guità delle cose. Le forme dell’espres­sione, della nar­ra­zione, non ser­vono a conso­li­dare quello che penso già di sapere, ser­vono a farmi dire « pen­savo fosse Duck, invece è anche rabbit, pen­savo che fosse col­pe­vole, ma è anche inno­cente », « pen­savo che avesse torto, ha torto ma ha anche ragione ». Non è un’imma­gine del aut aut, ma del et et, della coe­sis­tenza di cose diverse, a volte di cose opposte. Un’altra imma­gine che uso spesso come sin­tesi di un certo tipo di per­ce­zione è un dise­gno di John Berger, che è stato scrit­tore, sag­gista, pit­tore e ha molto stu­diato l’espe­rienza visiva. Realizza un ritratto di una bal­le­rina spa­gnola che si chiama Maria Muñoz. Questo dise­gno sembra fatto male, sembra molto sporco, il tratto non è netto, è accom­pa­gnato da un’ombra, un tre­mo­lio, un’incer­tezza. Quando John Berger ha des­critto come ha rea­liz­zato quel dise­gno, aveva detto che mentre cer­cava la forma giusta, non ha can­cel­lato i tratti attra­verso i quali cer­cava di avvi­ci­narsi al dise­gno. Quel dise­gno mostra il pro­cesso, il per­corso di un pit­tore. Questo pro­cesso è pre­sente in tutto quello che accade. Se io scrivo un rac­conto, ris­crivo tante volte, le frasi si modi­fi­cano, nello stesso modo il tratto del car­bon­cino cerca le pro­por­zioni giuste, cerca il movi­mento giusto. Ne viene fuori un’imma­gine che risulta allo sguardo un po’ più sporca e allo stesso tempo un po’ più viva. La forma non sta ferma. Gli esseri umani pos­sono agire su più livelli. Io mi accorgo che più passa il tempo, e più ho la sen­sa­zione che le azioni sono misu­rate dalla lun­ghezza delle nostre brac­cia o delle nostre gambe, sono azioni che sono vicino noi. Hanno pos­si­bi­lità di deter­mi­nare meta­mor­fosi nello spazio. Ho l’impres­sione che la storia sia più per­fida, impre­ve­di­bile e ter­ri­bile di quanto vogliamo imma­gi­nare che possa essere. Immaginiamo che ci sia un’evo­lu­zione, che la somma delle azioni porti a un’evo­lu­zione da un punto di visto etico. L’umano ha una capa­cità, si muove nel tempo a volte dando l’impres­sione di evol­vere, ma avendo anche una pre­dis­po­si­zione all’invo­lu­zione, a rovi­nare quello che ha cos­truito. Per una parte dell’opi­nione pub­blica, queste rovine sono des­critte come suc­cessi ; come una conquista. Quindi siamo così contrad­dit­tori, così poten­zial­mente assurdi, che dentro questo c’è qual­cosa di ter­ri­bile e di molto bello. Quindi, un’imma­gine che mi affas­ci­nava a vent’anni e che riguar­dava pro­prio le azioni, era quella del pian­tare un pezzo di legno nel ter­reno. Questa imma­gine diceva in realtà, che le uniche azioni che ha senso com­piere cor­ris­pon­dono al pian­tare il paletto nel cemento armato. Il ter­reno non è tuo com­plice, non è mal­lea­bile, è refrat­ta­rio, res­pinge il tuo ten­ta­tivo. Queste sono le uniche azioni da com­piere, quelle che risul­tano impos­si­bili. Continuo di avere una sim­pa­tia e un senso di tene­rezza nei confronti di quest’imma­gine e anche un’ammi­ra­zione nei confronti di un certo tipo di utopie.]

N.B : Le lan­gage semble avoir une impor­tance de pre­mier plan dans votre œuvre, il est tou­jours décrit dans sa dimen­sion maté­rielle, phy­si­que, tandis que la réa­lité est spec­trale, vacillante, elle risque de bas­cu­ler dans le néant à chaque ins­tant. Il y a, tout d’abord, l’inven­tion de ce lan­gage, l’alpha­muet dans Le temps maté­riel, et puis dans Dépaysement la cons­truc­tion des enfants sur la plage de ce que le nar­ra­teur appelle un « abé­cé­daire de sable ». Pourquoi cette atten­tion accor­dée au lan­gage ?

GIORGIO VASTA : Je sou­haite pou­voir tou­cher les mots, passer du temps à l’inté­rieur d’une phrase, comme vous pouvez passer le temps dans un lieu. J’ai rêvé de situa­tions de ce genre. Derrière la cons­truc­tion du nom « Berlusconi » avec du sable, il devrait y avoir une réfé­rence à l’Hollywood des ori­gi­nes, quand il y avait l’ins­crip­tion Hollywood et puis le récit, la légende d’une actrice qui se jette depuis une lettre parce qu’elle est frus­trée de ne pas avoir réussi à deve­nir célè­bre. Toutes les fois où dans les ter­rains de jeux il y a de grands pan­neaux, par­fois tri­di­men­sion­nels, des let­tres qui peu­vent vrai­ment être attein­tes, tou­chées, sur les­quel­les vous pouvez monter, j’en ai pres­que tou­jours le ver­tige, comme si j’avais envie de pleu­rer et de rire en même temps, comme si je voyais réa­lisé là non pas sim­ple­ment une déco­ra­tion, mais quel­que chose de mys­té­rieux. Dans Absolutely nothing j’écris sur un lieu, le Neon museum qui se trouve à Las Vegas, où dans un bout de désert, parce qu’il s’agit d’un musée à ciel ouvert, sont accu­mu­lées, appa­rem­ment aban­don­nées, ces ins­crip­tions qui domi­naient la Strip, qui était la rue prin­ci­pale de Los Angeles, celle où se trou­vaient le casino, des cha­pel­les où il était pos­si­ble de se marier en quel­ques minu­tes... Il y a tous ces mots avec des gra­phies diver­ses. Vous, visi­teurs du Neon museum, vous vous pro­me­nez à tra­vers le lan­gage, ce lan­gage qui a cher­ché à se mon­trer parce que la logi­que était que les auto­mo­bi­lis­tes tra­ver­saient cette route tou­jours plus vite, parce qu’avec les pro­grès de la tech­no­lo­gie, les voi­tu­res deve­naient de plus en plus rapi­des. Il nous faut réus­sir à capter l’atten­tion de l’auto­mo­bi­liste en un ins­tant, nous devons être mots et lumière en même temps. Nous devons appa­raî­tre devant ses yeux, capter son atten­tion, le pous­ser à accom­plir une action. Tout ce lan­gage vient de moi, était à l’inté­rieur de moi. Tout ce lan­gage scin­tillant, mais en même temps retraité parce qu’il n’est plus là, tout ce lan­gage crié dans le désert – parce que Las Vegas est une ville cons­truite dans le désert. Une expres­sion qui revient dans les écritures sain­tes quand on parle des pro­phè­tes est « Vox cla­man­tis in deserto », une voix qui parle dans le désert. Ces pan­neaux publi­ci­tai­res ont un carac­tère bibli­que par acci­dent : le lan­gage est tou­jours une voix qui crie dans le désert. Chacun a sa propre vision du monde. Il y a celui qui ima­gine que le lan­gage peut sauver, peut être vrai­ment habi­ta­ble ; et puis il y a celui qui pense – et je me crois plus proche de cette deuxième typo­lo­gie – que le désert est plus fort que tout, plus fort que tous, que toute ten­ta­tive de l’inter­rom­pre. Le désert tout comme la matière n’a pas d’ambi­tions, il n’a pas de car­rière, il cher­che seu­le­ment à se per­pé­tuer lui-même, rester ici, conti­nuer à être « Absolutely nothing ». Je n’ai pas ten­dance à avoir une vision sal­va­trice du lan­gage, ce qui ne signi­fie pas que j’en aie une vision pes­si­miste, mais je crois que le lan­gage crée les condi­tions pour que l’on puisse, ensem­ble, s’illu­sion­ner de quel­que chose. Et cette illu­sion, ce n’est pas quel­que chose d’erroné, c’est la seule chose qui a du sens. Dans les liens sociaux, il n’y a rien de plus impar­don­na­ble que le prag­ma­tisme, le réa­lisme. Quand je lis un livre, je demande au lan­gage de me taqui­ner, de me faire croire que, d’être puis­sant dans la cons­truc­tion de la fic­tion. Faites-moi entrer dans les mots, faites-moi ima­gi­ner qu’il est véri­ta­ble­ment pos­si­ble de passer du temps là-dedans, faites-moi même penser qu’il n’y a pas de dehors. Quand nous lisons pas­sion­né­ment un roman, il n’y a plus de dehors, il y a seu­le­ment le dedans. Je reviens sur cet unique point : il y a de ma part un désir infan­tile de cons­truire des scènes dans les­quel­les les per­son­na­ges entrent phy­si­que­ment en contact avec le lan­gage. Ils cons­trui­sent ainsi le nom Berlusconi avec ce sable qui contient toute la vie humaine, émiettée et com­pac­tée de nou­veau. Et Berlusconi, non pas en tant que Berlusconi, mais en tant que syn­thèse. Un seul mot pour dire tout le temps. Il y a l’alpha­muet qui relève d’un désir de cons­truire un lan­gage laco­ni­que, ce qui semble une contra­dic­tion puisqu’un lan­gage ne parle pas. Mais l’alpha­muet est fait de pos­tu­res, il est pic­to­gra­phi­que. Il y a aussi dans Le temps maté­riel le bar­belé, entendu comme un ita­li­que ; il y a la des­crip­tion des bouts de bar­be­lés, à la cam­pa­gne, qui sem­blent une écriture soli­di­fiée dans l’air, faite de petits nœuds, de poin­tes qui vont vers le haut, vers le bas, comme dans le t, le p, le f. Et puis Nimbe prend un bout de bar­belé et l’uti­li­sera au cours du roman, en ima­gi­nant tou­jours tou­cher le lan­gage, le faire deve­nir matière et agir.

[Ho il desi­de­rio di potere toc­care le parole, di pas­sare del tempo dentro una frase come puoi pas­sare il tempo in un luogo. Ho fan­tas­ti­cato situa­zioni di questo genere. Quando viene cos­truita la parola Berlusconi con la sabbia, dovrebbe esserci un rife­ri­mento alla Hollywood delle ori­gini, quando c’era la scritta Hollywood e poi il rac­conto, la leg­genda di un’attrice che si gettò giù da una let­tera perché frus­trata dal fatto di non rius­cire a diven­tare un’attrice conos­ciuta.Tutte quelle volte in cui nei parchi giochi ci sono delle grandi inse­gne, a volte tri­di­men­sio­nali, let­tere che pos­sono dav­vero essere rag­giunte, toc­cate, sulle quali puoi salire per me c’è sempre stato quasi una ver­ti­gine, come se mi venisse da pian­gere e da ridere nello stesso tempo, come se vedessi rea­liz­zato lì non sem­pli­ce­mente una deco­ra­zione, ma qual­cosa di mis­te­rioso. In Absolutely nothing c’è un luogo che viene rac­contato che è il Neon museum che si trova a Las Vegas, dove in un pezzo di deserto, perché si tratta di un museo all’aperto, sono accu­mu­late, appa­ren­te­mente abban­do­nate quelle scritte che domi­na­vano la Strip che era la via prin­ci­pale di Los Angeles, dove c’erano i casinò, cap­pelle in cui era pos­si­bile spo­sarsi in pochi minuti. Ci sono tutte queste parole, con delle gra­fi­che diverse. Tu, visi­ta­tore del Neon museum, vai a spazzo per il lin­guag­gio, questo lin­guag­gio che ha cer­cato di farsi vedere perché la logica era che degli auto­mo­bi­listi attra­ver­se­ranno questa strada sempre più velo­ce­mente, perché la tec­no­lo­gia migliora, le mac­chine diven­tano più veloci. Dobbiamo rius­cire a cat­tu­rare l’atten­zione dell’auto­mo­bi­lista in un istante, dob­biamo essere parole e luce allo stesso tempo. Dobbiamo com­pa­rire davanti ai suoi occhi, cat­tu­rare la sua atten­zione, spin­gerlo a com­piere un’azione. Tutto quel lin­guag­gio dice « vieni da me, entra dentro di me ». Tutto questo lin­guag­gio scin­tillante però, allo stesso tempo pen­sio­nato perché non sta più lì, tutto questo lin­guag­gio ha gri­dato nel deserto perché Las Vegas è una città cos­truita nel deserto. Un’espres­sione che ricorre nelle anti­che scrit­ture quando si parla dei pro­feti, si parla di « Vox cla­man­tis in deserto », una voce che parla nel deserto. Queste scritte pub­bli­ci­ta­rie hanno acci­den­tal­mente un carat­tere biblico : il lin­guag­gio è sempre una voce che chiama nel deserto. Ognuno ha la pro­pria visione del mondo. C’è chi imma­gina che il lin­guag­gio possa ris­cat­tare, possa essere dav­vero abi­ta­bile ; e poi c’è chi – e io mi sento più vicino a questa seconda tipo­lo­gia – pensa che il deserto è più forte di tutto e di tutti, e di ogni ten­ta­tivo di inter­rom­perlo. Lì hai delle scritte che pos­sono inter­rom­pere la logica del deserto, che è la logica della mate­ria. Il deserto come la mate­ria non ha ambi­zioni, non ha car­riera, vuole solo per­pe­tuare se stesso, rima­nere qui, conti­nuare a essere « Absolutely nothing ». Non tendo ad avere una visione sal­vi­fica del lin­guag­gio, che non signi­fica che io ne abbia una visione pes­si­mis­tica ma credo che il lin­guag­gio crea le condi­zioni perché ci si possa insieme illu­dere di qual­cosa. Questo illu­dersi non è una cosa sba­gliata, è l’unica cosa che ha senso. Nei legami tra le per­sone non c’è nulla cosa di più imper­do­na­bile che il prag­ma­tismo, il rea­lismo. Al lin­guag­gio, io chiedo quando leggo un libro di pren­dermi in giro, di farmi cre­dere che, di essere potente nel cos­truire la fin­zione. Fammi entrare nelle parole, fammi imma­gi­nare che dav­vero si possa pas­sare del tempo qui dentro, fammi addi­rit­tura pen­sare che non c’è un fuori. Quando noi leg­giamo appas­sio­na­ta­mente un romanzo, non c’è più un fuori, c’è solo il dentro. Torno su quest’unico punto : c’è un desi­de­rio infan­tile di cos­truire scene nelle quali i per­so­naggi entrano fisi­ca­mente in contatto col lin­guag­gio, perché cos­truis­cono la parola Berlusconi con questa sabbia che contiene tutta la vita umana sbri­cio­lata e ricom­pat­tata. E Berlusconi non in quanto Berlusconi, ma in quanto sin­tesi. Una sola parola per dire tutto il tempo. C’è l’alfa­muto che ha a che fare con un desi­de­rio di cos­truire un lin­guag­gio laco­nico, che sembra una contrad­di­zione, un lin­guag­gio che non parla. Ma l’alfa­muto è fatto di pos­ture, è pit­to­gra­fico C’è anche dentro il Tempo mate­riale il filo spi­nato, inteso come un cor­sivo ; c’è la des­cri­zione di tratti di filo spi­nato, in cam­pa­gna, che sem­brano una scrit­tura soli­di­fi­cata nell’aria, fatta di pic­coli nodi, punte che vanno verso l’alto, verso il basso, come nella t, nella p, nella f. E poi Nimbo prende un pezzo di filo spi­nato e lo userà nel corso del romanzo, imma­gi­nando sempre di toc­care il lin­guag­gio, di farlo diven­tare mate­ria e di agire.]

N.B : Le temps semble être une préoc­cu­pa­tion majeure dans votre œuvre, préoc­cu­pa­tion que nous retrou­vons dans le titre même de l’ouvrage col­lec­tif Présent que vous avez co-signé avec Andrea Bajani, Michela Murgia et Paolo Nori. Le temps maté­riel et Dépaysement se dérou­lent dans un temps anhis­to­ri­que, malgré la pré­sence d’une chro­no­lo­gie dans Le temps maté­riel per­met­tant de recons­ti­tuer l’action de juin à décem­bre 1978 et d’une scan­sion de la tem­po­ra­lité nar­ra­tive en trois jours dans Dépaysement. L’Italie semble être sortie de l’his­toire : dans Anteprima nazio­nale , vous évoquez « La rage qui naît au moment où on se rend compte d’avoir renoncé au droit d’être dans l’his­toire ». Ce pré­sent serait-il une carac­té­ris­ti­que de notre temps, fai­sant écho à ce que cer­tains cri­ti­ques ont pu appe­ler le régime d’his­to­ri­cité pré­sen­tiste, ou bien s’agit-il là d’une spé­ci­fi­cité ita­lienne ?

GIORGIO VASTA : J’ai écrit des livres dans les­quels le temps est cen­tral, dans Dépaysement aussi avec le res­ser­re­ment du récit sur une unité de temps bien pré­cise, sur trois jour­nées. Nous n’avions pas pré­mé­dité d’inti­tu­ler notre livre Présent mais nous nous sommes aper­çus que le déno­mi­na­teur commun était le jour­nal - bien que fic­tion­nel, parce que chacun de nous a inventé une bonne partie de ce qui est raconté. Les deux mots-clefs sont « matière » et « temps », déjà syn­thé­ti­sés dans le titre du pre­mier livre, Le temps maté­riel, comme s’il s’agis­sait d’un mani­feste pro­gram­ma­ti­que. Je parle des choses faites à partir de ce moment-là, de celles que j’ai faites main­te­nant, sur les deux pro­chains livres qui sor­ti­ront entre sep­tem­bre et l’an pro­chain, où il n’y a rien d’autre que le temps. Ce qui a changé, c’est la manière de com­pren­dre jus­te­ment le pré­sent. Au moment du Temps maté­riel et de Présent, j’avais la sen­sa­tion que le temps avait sa propre lisi­bi­lité, que l’his­toire pou­vait four­nir des des­crip­tions du temps. En 2016, j’ai écrit un livre qui devrait sortir en France chez Verdier, qui en ita­lien s’inti­tule Absolutely nothing. C’est un livre qui m’a été très utile pour com­pren­dre com­ment les choses se pas­saient. C’est un repor­tage : un éditeur charge un écrivain et un pho­to­gra­phe de faire un voyage et de le raconter par l’écriture et les images. J’ai fait ce voyage en 2013 avec Ramak Fazel, un pho­to­gra­phe amé­ri­cain et Giovanna Silva, qui est pho­to­gra­phe et éditrice. Ce voyage se concen­trait sur un aspect : les espa­ces aban­don­nés, les lieux dans les­quels les êtres humains sont allés, ont cons­truit un vil­lage, un parc aqua­ti­que, un hip­po­drome, sont inter­ve­nus, ont voulu faire sentir cet aspect des êtres humains et trans­for­mer l’espace, le modi­fier, puis ils se sont éloignés, notam­ment parce qu’une partie de ces lieux a été cons­truite dans le désert. Le désert ne se laisse guère façon­ner, il vous donne l’impres­sion, peut-être au début, que vous pouvez faire quel­que chose, et puis il reprend tout. Il reste donc un hip­po­drome aban­donné dans le désert, un vil­lage où per­sonne ne vit, une ville fan­tôme. Je me suis rendu compte que je m’appro­chais tou­jours plus d’une idée du temps plus nette. Et cette expé­rience du temps coïn­ci­dait alors avec le désert, avec les déserts nord-amé­ri­cains. Quand vous êtes dans le désert - et en tant qu’euro­péens le désert, nous le connais­sons bien peu - il arrive un stade où les navi­ga­teurs inter­net et les télé­pho­nes por­ta­bles ne fonc­tion­nent plus. Il y a un moment, qui est raconté dans le livre, où les trois voya­geurs des­cen­dent de la Geep et cons­ta­tent qu’autour d’eux tout est blanc, que l’on ne voit même plus la ligne d’hori­zon. Alors, vous ne vous deman­dez pas sim­ple­ment : « Dans quel espace suis-je ? », vous ne savez même plus dans quel temps vous vous trou­vez. Le désert rend l’expé­rience des choses radi­cale. Vous devez vous sou­ve­nir : « J’ai qua­rante-et-un ans, je suis en voyage avec ces deux amis, nous devons écrire ce livre », comme si tout dis­pa­rais­sait pour un moment, mais pas de manière dou­lou­reuse. La sen­sa­tion est pres­que oppo­sée : vous décou­vrez des moments dans les­quels il vous semble que vous ne savez plus rien, si bien que le sous-titre de ce livre est « Histoires et dis­pa­ri­tions dans le désert amé­ri­cain ». Pour moi, le pré­sent est une expé­rience privée non seu­le­ment au sens de per­son­nel mais aussi au sens de sous­traire, priver, reti­rer. Le pré­sent se mani­feste et au même moment où il se mani­feste, il dis­pa­raît, comme s’il s’agis­sait d’une lumière qui, appa­rais­sant sous nos yeux, s’évanouit dans l’ins­tant même où elle appa­raît. C’est la méta­phore des feux d’arti­fice, cette gram­maire ori­gi­nale : des lumiè­res qui se maté­ria­li­sent dans l’obs­cu­rité mais qui n’ont pas de durée. D’abord, je pen­sais qu’il y avait une durée, qu’on pou­vait rester dans la durée. L’his­toire me don­nait l’impres­sion d’être un ins­tru­ment pour lire les durées à l’inté­rieur des pério­des tem­po­rel­les. Puis, le pré­sent est devenu de plus en plus ori­gi­nel. Parfois, je me dis que j’ai une curio­sité non réa­li­sa­ble. Il me plai­rait de savoir com­ment un nou­veau-né per­çoit phy­si­que­ment le monde. J’ai ten­dance à ima­gi­ner qu’il voit sur­tout un mélange fan­tas­ma­ti­que de lumière, d’obs­cu­rité, de choses qui devien­dront des corps, des liens, des affects par la suite. Peut-être, même à la fin, ce sont deux expé­rien­ces qui ne sont pas par­ta­gea­bles parce qu’il n’y a pas de lan­gage pour par­ta­ger l’expé­rience du monde et puis parce qu’il n’y a pas de temps. C’est comme si nous nous appro­chions tou­jours plus d’une déstruc­tu­ra­tion de chaque élément linéaire, d’une archi­tec­ture, de la durée. Le pré­sent est pour moi une lumière qui appa­raît puis s’éteint comme les feux d’arti­fice et les phares. Vous voyez ce moment où la lumière se tourne vers vous et puis s’enfuit. Le texte que j’ai écrit pour Manifesta s’appelle « Palerme, une auto­bio­gra­phie sous la lumière » : l’expé­rience de la lumière y est cen­trale, et à tra­vers la lumière, l’on parle du temps.

[Ho scritto dei libri nei quali il tempo è cen­trale, anche in Spaesamento con il concen­trarsi del rac­conto su un’unità di tempo ben pre­ciso che sono tre gior­nate. Non era pre­me­di­tato che il libro si inti­to­lasse Presente ma ci siamo accorti che il deno­mi­na­tore com­mune era il diario, sep­pure un diario fin­zio­nale, perché ognuno di noi ha inven­tato in buona parte di quello che viene rac­conto. Le due parole sono mate­ria e tempo, sin­te­tiz­zate nel titolo del primo libro Tempo mate­riale, come se fosse un mani­festo pro­gram­ma­tico, non essen­dolo perché non c’era quell’idea. Ragiono sulle cose fatte a par­tire da quel momento, su quelle che ho fatto adesso, sui pros­simi due libri che usci­ranno tra set­tem­bre e l’anno pros­simo, dove non c’è altro che il tempo. Quello che è cam­biato è il modo di inten­dere pro­prio il pre­sente. Al tempo di Tempo mate­riale e di Presente, avevo la sen­sa­zione che il tempo avesse la sua pro­pria leg­gi­bi­lità, che la storia possa for­nire delle des­cri­zioni del tempo. Nel 2016, ho scritto un libro che dovrebbe uscire per Verdier in Francia, che in ita­liano si inti­tola Absolutely nothing. È un libro che mi è stato molto utile per capire che cosa sta­vano suc­ce­dendo delle cose. È un repor­tage : un edi­tore inca­rica uno scrit­tore e un foto­grafo di fare un viag­gio e di rac­contarlo con la scrit­tura e con le imma­gini. Ho fatto questo viag­gio in 2013 con Ramak Fazel, un foto­grafo ame­ri­cano e Giovanna Silva che è foto­grafa ed edi­tore. Questo viag­gio si concen­trava su un aspetto : gli spazi abban­do­nati, i luoghi nei quali gli esseri umani sono andati, hanno cos­truito un vil­lag­gio, un parco acqua­tico, un ippo­dromo, sono inter­ve­nuti hanno voluto far sen­tire quello aspetto degli esseri umani e cam­biare lo spazio, modi­fi­carlo, poi si sono allon­ta­nati, anche perché una parte di questi luoghi sono stati cos­truiti nel deserto. Il deserto lascia poco plas­mare, ti dà l’impres­sione, magari all’inizio, che tu possa fare qual­cosa, poi però si riprende tutto. Quindi, rimane un ippo­dromo abban­do­nato nel deserto, vil­lag­gio in cui non vive nes­suno, una ghost town. Mi sono reso conto che mi andavo avvi­ci­nando sempre di più a un’idea di tempo più netta. E quest’espe­rienza del tempo coin­ci­deva allora con il deserto, con i deserti nord ame­ri­cani. Quando sei nel deserto, e da Europei il deserto lo conos­ciamo ben poco, arriva un punto in cui i navi­ga­tori e cel­lu­lari non fun­zio­nano più. C’è stata una volta che viene rac­contata nel libro in cui i tre viag­gia­tori scen­dono dalla Geep, si guar­dano intorno e tutto è bianco, la ligna dell’oriz­zonte non la vedi. La domanda che ti poni non è sem­pli­ce­mente « In che spazio siamo ? », non sai più nean­che in che tempo ti trovi. Il deserto rende radi­cale l’espe­rienza delle cose. Devi ricor­darti : ho 41 anni, sono in viag­gio con questi due amici, dob­biamo scri­vere questo libro come se tutto sva­nisse per un momento, non in una maniera dolo­rosa. La sen­sa­zione è quasi opposta : ti sembra di sco­prire dei momenti in cui ti sembra di non sapere più nulla, tanto che il sot­to­ti­tolo di questo libro è « storie e spa­ri­zioni » nei deserti ame­ri­cani. Per me, il pre­sente è un’espe­rienza pri­vata non sol­tanto nel senso di per­so­nale ma anche nel senso di sot­trarre, pri­vare, togliere. Si mani­festa e nello stesso momento nel cui si mani­festa sva­nisce, come se fosse una luce che com­pare davanti agli occhi e nello stesso istante in cui com­pare, va via. Il pre­sente trova una sua meta­fora nei fuochi d’arti­fi­cio, che sono una gram­ma­tica ori­gi­na­ria : luci che si mate­ria­liz­zano in uno spazio buio ma non hanno durata. Prima pen­savo che ci fosse una durata, che si potesse stare nella durata. La Storia mi dava l’impres­sione di essere uno stru­mento per leg­gere le durate all’interno dei lassi tem­po­rali. Poi il pre­sente è diven­tato sempre più ori­gi­na­rio. Ogni tanto mi dico che ho una curio­sità non rea­liz­za­bile. Mi pia­ce­rebbe sapere come un neo­nato vede il mondo in modo fisico. Tendo a imma­gi­nare che veda soprat­tutto un mes­co­larsi fan­tas­ma­tico di luce, di buio, di cose che poi diven­te­ranno corpi, legami, affetti. Forse, anche alla fine, sono due espe­rienze che non sono condi­vi­si­bili perché non c’è il lin­guag­gio per condi­vi­dere l’espe­rienza del mondo e poi perché non c’è il tempo. È quindi come se si andasse sempre di più verso una des­trut­tu­ra­zione di ogni ele­mento lineare, di un’archi­tet­tura, della durata. Il pre­sente per me è una luce che com­pare e sva­nisce come i fuochi d’arti­fici e i fari. Vedi quel momento in cui la luce rivolta verso di te e poi va via. Quello che ho scritto è « Palermo, un’auto­bio­gra­fia nella la luce » : l’espe­rienza della luce è al centro, e attra­verso la luce, si parla di tempo.]

N. B : Les enfants sont des per­son­na­ges récur­rents dans vos romans, qu’il s’agisse des héros juvé­ni­les du Temps maté­riel ou bien des deux gar­çons qui extor­quent de l’argent fictif au nar­ra­teur dans Dépaysement. Vous repre­nez ici une figure arché­ty­pale de la lit­té­ra­ture ita­lienne, ce « mythe de l’enfance » ana­lysé par Gilbert Bosetti ; l’on se sou­vient par exem­ple du per­son­nage de Pino chez Calvino, gavro­che héros du Sentier des nids d’arai­gnées . J’ai le sen­ti­ment que l’enfance devient un mode d’explo­ra­tion pri­vi­lé­gié de la nature humaine dans vos écrits, pro­pice au déploie­ment d’une réflexion anthro­po­lo­gi­que plus géné­rale. Pourquoi avoir choisi d’uti­li­ser le point de vue d’un jeune garçon pour raconter l’ascen­sion de la vio­lence bri­ga­diste dans Le temps maté­riel  ?

GIORGIO VASTA : Si dans Le temps maté­riel, les per­son­na­ges avaient eu qua­torze ans au lieu d’en avoir onze, leur com­por­te­ment res­te­rait condam­na­ble mais pour­rait être expli­qué sur le plan de la vrai­sem­blance et de la psy­cho­lo­gie. Je n’avais pas prévu que Nimbe eût onze ans car cela semble jus­te­ment incom­pa­ti­ble : son com­por­te­ment n’est pas celui d’un garçon de onze ans. Je vou­lais que l’his­toire eût quel­que chose d’invrai­sem­bla­ble. Je ne me situais pas sur le plan mimé­ti­que. Je ne deman­dais pas à qui me lût « Crois-moi parce que ces choses peu­vent arri­ver », le dis­cours serait plutôt à l’inverse : « Crois-moi bien qu’elles ne puis­sent pas arri­ver », car des inter­dits sur­vien­nent à un cer­tain moment. Les pro­ta­go­nis­tes sont de jeunes enfants, les enfants jouent au ballon, jouent à la guerre de diver­ses maniè­res. Mais quand les enfants jouent, il y a une règle tacite : lors­que l’on se fait mal, que quelqu’un tombe, que jaillit le sang, le jeu s’inter­rompt. Ce n’est pas une ques­tion cultu­relle ou éthique, c’est pres­que une impul­sion ani­male. En cet ins­tant nous sommes vul­né­ra­bles. Le jeu est une simu­la­tion, c’est une illu­sion, une trans­fi­gu­ra­tion de l’espace réin­venté, mais quand jaillit le sang, un adulte rompt le cercle du jeu pour pren­dre l’enfant et l’amener au loin, le groupe se dis­perse. Imagine ce qui advien­drait si, à un cer­tain moment quelqu’un se fai­sait mal et que l’on conti­nuait à jouer. Le temps maté­riel est le récit de cette situa­tion dans laquelle un enfant se fait mal et que le groupe conti­nue à jouer. Nimbe et ses com­pa­gnons sont sur­pris quand ils se ren­dent compte que leurs pre­miers petits atten­tats sont pris au sérieux. Mais à ce stade, per­sonne encore ne s’est fait mal. Un pas­sage cen­tral pour moi a été lors­que j’ai com­pris que je devais faire coïn­ci­der la séques­tra­tion de Morana avec sa mort. Je la désap­prou­vais d’un point de vue moral, mais dans les his­toi­res nous fai­sons aussi arri­ver des choses injus­tes. Je m’étais dit qu’ils allaient s’arrê­ter là. À l’inverse, je me suis rendu compte qu’ils conti­nuaient et pro­je­taient la séques­tra­tion de Wimbow. Ce n’était pas une démar­che inco­no­claste : je ne me dis pas « alors main­te­nant, je prends le mythe de l’enfance et je le détruis de façon polé­mi­que ». Je sou­hai­tais aussi lutter de façon plus com­plexe contre le phé­no­mène de l’enfance véhi­culé par les médias, cette idée que les enfants ser­vent à atten­drir. Les humains sont humains mais nous les contrai­gnons à l’idéa­li­sa­tion. Je fai­sais ainsi un tort à l’humain, mais j’espé­rais pro­té­ger mon inter­lo­cu­teur de ce mou­ve­ment de cen­sure. J’ai décidé qu’il était pos­si­ble d’éprouver de la ten­dresse pour Nimbe, mais je ne vou­lais pas que cette ten­dresse tienne au fait qu’il avait onze ans. Je vou­lais qu’on arrive à cette ten­dresse en fai­sant un par­cours plus tor­tueux, qu’à ce stade la ten­dresse fût diri­gée vers l’être humain, et que ce ne fût pas une ten­dresse d’ordre publi­ci­taire. Je ne vou­lais pas que Nimbe soit l’enfant qui fasse les publi­ci­tés pour le Panettone à la télé­vi­sion ita­lienne.

[Se nel Tempo mate­riale i pro­ta­go­nisti invece di avere undici anni ne aves­sero sei­dici, ma anche quat­tor­dici, i loro com­por­ta­menti rima­reb­bero estremi, ma tro­ve­reb­bero la pos­si­bi­lità di essere spie­gato sul piano della vero­si­mi­glianza e della psi­co­lo­gia. Non avevo pro­get­tato che Nimbo avesse undici anni e che però fosse così incom­pa­ti­bile con quello che noi pen­siamo che fosse un undi­cenne. L’insieme dei suoi com­por­ta­menti non sono quelli che rite­niamo pos­si­bili in un undi­cenne. Mi sono reso conto che avevo invece il desi­de­rio che la storia avesse qual­cosa di inve­ro­si­mile. Non cer­cavo un livello mime­tico. Non chie­devo a chi legge « cre­dimi perché queste cose pos­sono suc­ce­dere », era come se il dis­corso fosse « cre­dimi nonos­tante queste cose non pos­sano suc­ce­dere ». Ci sono dei vin­coli, dei divieti che a certo punto inter­ven­gono. I pro­ta­go­nisti sono dei prea­do­les­centi, dei ragaz­zini, non dei bam­bini ma nean­che dei ragazzi. I ragaz­zini gio­cano, gio­cano a pal­lone, alla guerra in tanti modi. Quando però i ragaz­zini gio­cano, c’è una regola non detta, impli­cita : quando ci si fa male (quando qual­cuno cade), quando viene fuori il sangue, il gioco si inter­rompe. Non è una ques­tione cultu­rale, etica, è quasi un’impulso ani­male. In quel momento è come se ci fosse un’evi­denza : siamo vul­ne­ra­bili. Il gioco è una simu­la­zione, un’illu­sione, c’è una conti­nua tras­fi­gu­ra­zione. Quando viene fuori il sangue, è come se la realtà dicesse alla simu­la­zione, al gioco : "fer­mati". Di solito, un adulto entra nel cer­chio del gioco, prende il ragaz­zino che si è fatto male, lo porta via, lo medica, lo rim­pro­vera, il gruppo si scio­glie, il gioco s’inter­rompe, ripren­derà il giorno dopo. Immagina che cosa acca­drebbe se a un certo punto qual­cuno si fa male e si conti­nua a gio­care : si fa male un’altro, gli esce il dal ginoc­chio e si conti­nua a gio­care. E come se Il tempo mate­riale fosse il rac­conto di questa seconda situa­zione in cui quando ci si fa male, quando dovreb­bero arri­vare gli adulti a inter­rom­pere il gioco, o dovreb­bero esserci l’istinto, l’ini­zia­tiva di qual­cuno a dire "basta, fer­mia­moci", invece questo non accade e loro conti­nuano a gio­care. I ragaz­zini sono sor­presi quando si accor­gono che i primi pic­coli atten­tati ven­gono presi sul serio. Però lì, ancora nes­suno si è fatto male. Il pas­sag­gio cen­trale è stato quando ho capito che dovevo fare coin­ci­dere il seques­tro di Morana con la sua ucci­sione, che io disap­pro­vavo da un punto di vista morale ma nelle storie fac­ciamo anche suc­ce­dere delle cose ingiuste. C’è stato qual­che giorno in cui mi sono detto « ora però tutto si ferma ». Tre ragaz­zini hanno ucciso un loro coe­ta­neo, lo hanno deli­be­ra­ta­mente ucciso : se suc­cede questo, devono fer­marsi. Invece mi sono accorto che anda­vano avanti e pro­get­ta­vano il seques­tro di Wimbow. Non c’era un’inten­zione da parte mia ico­no­clasta : non dico « ora prendo il mito dell’infan­zia » e in modo pole­mico lo dis­truggo. C’era il desi­de­rio di una let­tura più com­plessa del feno­meno dell’infan­zia che viene spesso sti­liz­zato, rita­gliato, addo­mes­ti­cato. Se penso agli spot pub­bli­ci­tari, che coin­vol­gono i bam­bini, che come se il mito dell’infan­zia venisse anche dop­piato dai media : l’idea che i bam­bini ser­vono a inte­ne­rire. I bam­bini sono umani, sono tutto quello che è pos­si­bile che possa essere. Se io li cos­tringo all’idea­liz­za­zione, faccio un torto. Sto cer­cando di pro­teg­gere il mio inter­lo­cu­tore facendo un movi­mento di cen­sura. Non solo non ho nulla contro la tene­rezza dei bam­bini, ma io scri­vendo desi­de­ravo che si potesse pro­vare tene­rezza nei confronti Nimbo, ma non volevo che questa tene­rezza dis­cen­desse dal fatto che aveva undici anni. Volevo che si arri­vasse alla tene­rezza nei suoi confronti facendo un per­corso più tor­tuoso, e che a quel punto la tene­rezza fosse nei confronti dell’essere umano, che non fosse una tene­rezza d’ordine pub­bli­ci­ta­rio. Non volevo che nimbo fosse il bam­bino che fa gli spot del Panettone sulla TV ita­liana.]

N. B. : Tous les per­son­na­ges que vos œuvres met­tent en scène sont habi­tés par une pul­sion mor­ti­fère, un désir de des­truc­tion qui pous­sent les enfants du Temps maté­riel à som­brer dans la vio­lence et à adhé­rer à la rhé­to­ri­que bri­ga­diste. Dans Dépaysement, vous écrivez : « Le mal est pos­si­ble, tou­jours pos­si­ble, même sans méchan­ceté, il peut être léger, pres­que inconsis­tant. Infantile, féroce. » . Quelle est la signi­fi­ca­tion à donner à cette pré­sence du mal dans votre œuvre ? Pouvons- nous voir une lueur d’espoir dans la déci­sion finale de Nimbe dans Le temps maté­riel d’épargner Wimbow ?

GIORGIO VASTA : J’ai donné des éléments de réponse à cette ques­tion en par­lant du com­por­te­ment des per­son­na­ges du Temps maté­riel après le meur­tre de Morana. D’abord intri­gués, Nimbe et ses com­pa­gnons sont vite fas­ci­nés par le fait de pou­voir accom­plir le mal, par le fait qu’un corps puisse être plus fort qu’un autre. C’est un pré­sup­posé de nom­breu­ses actions vio­len­tes, et c’est un pré­sup­posé d’ori­gine bio­lo­gi­que, ori­gi­naire, extra-sociale : « je suis plus fort que vous », donc ils peu­vent réa­li­ser cette action. Le mal au sein de l’expé­rience humaine n’existe pas seul, il existe à l’inté­rieur d’une dia­lec­ti­que. Quand les êtres humains ont com­mencé à raconter des his­toi­res, et ils l’ont aussi fait à tra­vers la reli­gion, ils ont décrit le mal comme quel­que chose qui s’oppose in situ au bien. Beaucoup de pen­seurs sou­tien­nent que le bien est inhé­rent, interne, ori­gi­naire. Ensuite, il y a quel­que chose qui vous fait dévier. Et puis le bien revient, chasse le mal et remet en ordre le monde. Prenons des exem­ples rele­vant des textes sacrés, de la lit­té­ra­ture. Au moment où le père s’apprête à tuer son fils, l’ange arrête sa main et lui dit qu’il ne peut pas aller plus loin, qu’il ne doit pas accom­plir le mal. À un cer­tain moment, la lit­té­ra­ture fait sien­nes l’élaboration, la méta­bo­li­sa­tion, le récit du mal. Crime et châ­ti­ment de Dostoïevski est à cet égard cen­tral. Dans ce roman, le mal est accom­pli. C’est un mal évitable : un jeune homme vou­drait cam­brio­ler la maison d’une vieille prê­teuse à gages – ce per­son­nage n’est pas très char­mant. À l’impro­viste, Raskolnikov assas­sine cette vieille dame. Je me suis mis à réflé­chir à ce roman, à l’impor­tance qu’il avait pour moi, pen­dant que j’écrivais Le temps maté­riel. Dostoïevski concen­tre la majeure partie de son roman sur le repen­tir, qui n’est pas immé­diat. Au début, Raskolnikov donne des jus­ti­fi­ca­tions mora­les à son acte, il dit : « au fond, cette femme était une per­sonne ter­ri­ble », ce qui n’est pas une raison – peu importe qui il y a en face – pour en jus­ti­fier le meur­tre. De l’autre côté, il dit « avec cet argent que j’ai volé, je vais finan­cer mes études, et mes études me ser­vi­ront à deve­nir... disons avocat et à défen­dre les fai­bles. ». On donne donc une jus­ti­fi­ca­tion au mal : j’ai fait le mal pour pou­voir faire le bien dans le futur. Dostoïevski raconte le tour­ment de ce garçon. Son repen­tir n’est pas suf­fi­sant, à un niveau per­son­nel, il doit y avoir aussi un repen­tir externe, en rap­port avec la struc­ture sociale. Lorsque j’avais ter­miné les pre­miè­res épreuves du Temps maté­riel, un éditeur m’a dit : « C’est comme si tu avais oublié de raconter le repen­tir de tes per­son­na­ges ». Mais moi je ne l’ai pas oublié, je l’ai exclu. Je me rap­pelle de la conver­sa­tion que nous avions eue, qui avait été très dense, je lui avais répondu : « Personnellement, sur le plan moral, je conti­nue à donner du crédit au repen­tir, je le com­prends comme une ten­ta­tive de lire de façon cri­ti­que le mal, en fai­sant confiance au niveau indi­vi­duel, au niveau col­lec­tif à une idée du bien. Moi, je conti­nue à croire en Raskolnikov. » Mes per­son­na­ges, à l’inté­rieur de ce récit n’y croient pas. Nimbe n’a jamais, pas même à la fin, un moment où il se dit, où il dit au lec­teur « Je me suis trompé ». Il fait l’expé­rience de la dou­leur mais les rai­sons pour les­quel­les il empê­che le projet de séques­tra­tion de la petite fille créole ne sont pas éthiques. Il ne se dit pas « nous nous sommes trom­pés, nous avons accom­pli le mal ». Il a une raison per­son­nelle : il ne veut pas qu’on fasse du mal à Wimbow. Si au cœur du nou­veau projet des trois cama­ra­des il y avait eu quelqu’un d’autre à la place de la petite fille créole, peut-être que Nimbe n’aurait aucune objec­tion d’ordre moral. C’est un per­son­nage que je consi­dère ambigu jusqu’à la fin, ce n’est pas un per­son­nage qui uti­lise les der­niè­res lignes de l’his­toire pour se repen­tir, pour faire les comp­tes avec l’expé­rience du mal. Et tout cela parce qu’à un cer­tain point, j’ai eu le sen­ti­ment que le repen­tir conti­nue d’être quel­que chose auquel nous nous réfé­rons dans le domaine de l’éthique, lors­que nous décri­vons la dia­lec­ti­que entre le bien et le mal, sans qu’en réa­lité nous y croyions véri­ta­ble­ment. C’est comme un objet d’anti­quaire. On nous a dit que c’est beau, que c’est impor­tant, nous nous y fions, nous ne dis­cu­tons pas plus que cela le fait qu’il soit beau ou non, nous le tenons là. Mais en sub­stance, cet objet ne nous repré­sente plus. Moi, j’ai le sen­ti­ment que dans l’hori­zon réfé­ren­tiel, le repen­tir n’est plus vrai­ment une expé­rience pro­fonde de l’être humain, je pense, à la limite, qu’il est simulé. Il sur­vient un fait divers hor­ri­ble, un meur­tre, et en géné­ral, arrive ce moment où l’avocat raconte que le cou­pa­ble passe son temps à pleu­rer, qu’il se repend. C’est comme s’il y avait, dans la sen­sa­tion que j’en ai, un bar­rage, un dia­phragme, un obs­ta­cle. Ce n’est pas que nous ne vou­lons pas nous repen­tir, c’est que nous n’y arri­vons plus, peut-être parce que dans notre expé­rience, un sen­ti­ment tra­gi­que de la vie n’est plus cen­tral. Peut-être Œdipe trou­ve­rait-il aujourd’hui une solu­tion, mais je ne crois pas qu’après avoir décou­vert qu’il a tué son père et fait l’amour avec sa mère, il se sui­ci­de­rait. Nous vivons à l’inté­rieur d’un sen­ti­ment tra­gi­que des choses et en même temps de leur rela­ti­vi­sa­tion, de leur insi­gni­fiance. Aucune n’est déter­mi­nante, aucune n’est défi­ni­tive, déci­sive. Nimbe et ses copains déci­dent d’être cou­pa­bles, ils veu­lent être cou­pa­bles, en ce sens, ils regar­dent avec admi­ra­tion l’expé­rience bri­ga­diste. J’ai eu le sen­ti­ment que la culpa­bi­lité était une pensée un peu infan­tile. Il serait judi­cieux de parler en termes de res­pon­sa­bi­lité. Mais quand vous ne réus­sis­sez pas à parler de res­pon­sa­bi­lité, vous vous conten­tez de la ver­sion mineure de la res­pon­sa­bi­lité, éventuellement en néga­tif, qui est la culpa­bi­lité. En regar­dant les choses selon une pers­pec­tive his­to­ri­que, c’est comme si la géné­ra­tion de ceux qui ont séques­tré, tué, pen­dant les années soixante-dix avait dit : « Nous ne réus­sis­sons pas à être autre chose et donc, nous devons à tout prix être cou­pa­bles ». Il y a quel­que chose de ter­ri­ble dans le fait de se dire « Je n’ai pas d’autre moyen d’être un sujet dans l’his­toire, il n’y a pas d’autre action reconnais­sa­ble, trans­for­ma­trice si ce n’est l’action des­truc­trice, si ce n’est tuer quelqu’un ». C’est une pensée limite, qui exprime un état de déses­poir pro­fond et inac­cep­ta­ble.

[Una parte della ris­posta l’ho data poco fa ragio­nando del com­por­ta­mento dei pro­ta­go­nisti del Tempo mate­riale dopo l’ucci­sione di Morana. Quei per­so­naggi sono incu­rio­siti, poi affas­ci­nati dal fatto in sé di potere com­piere il male, dal fatto che un corpo possa essere più forte di un’altro corpo. È il pre­sup­posto di molte azioni vio­lenti, ed è un pre­sup­posto dav­vero d’ori­gine bio­lo­gico, ori­gi­na­rio, extra­so­ciale : sono più forte di te, quindi posso com­piere quest’azione. Il male, dentro l’espe­rienza umana, non esiste da solo, esiste all’interno di una dia­let­tica. Quando gli esseri umani hanno ini­ziato a rac­contare storie, e hanno rac­contato storie anche attra­verso la reli­gione, hanno rac­contato che il male è qual­cosa che si contrap­pone al bene. Molti pen­sa­tori sos­ten­gono che il bene sia insito, interno, ori­gi­na­rio. Poi c’è qual­cosa che ti fa deviare. Poi torna il bene che caccia via il male e rimette in ordine il mondo. Faccio degli esempi tra testi sacri e let­te­ra­tura. Nel momento in cui il padre sta per ucci­dere il figlio, l’angelo blocca la sua mano e gli dice che non può andare avanti, che non deve com­piere il male. A un certo punto, la let­te­ra­tura fa sue l’ela­bo­ra­zione, la meta­bo­liz­za­zione, il rac­conto del male. Si arriva a Diletto e Castigo di Dostoievski che è cen­trale. In quel romanzo, il male viene com­piuto. È un male evi­ta­bile : un’uomo gio­vane vor­rebbe rubare la casa di una donna anziana che presta soldi ; non è un per­so­nag­gio carino quello di lei. E impre­ve­di­bil­mente Raskolnikov uccide questa vec­chia donna. Mi sono messo a ragio­nare su questo romanzo, sull’impor­tanza che aveva per me mentre scri­vevo Il Tempo mate­riale. Concentra la mag­gior parte del romanzo sul pen­ti­mento, che non è imme­diato. All’inizio Raskolnikov sta nelle gius­ti­fi­ca­zioni morali. Dice : « in fondo quella donna era una per­sona ter­ri­bile », che non è un motivo, chiun­que sia l’altro, per gius­ti­fi­carne l’ucci­sione. Dall’altro lato, dice « Io con questi soldi che ho rubato, mi pago gli studi, e gli studi mi ser­vi­ranno a diven­tare... met­tiamo avvo­cato e a difen­dere i deboli ». Si dà una gius­ti­fi­ca­zione : ho com­piuto il male per poter com­piere in futuro il bene. Dostoievski rac­conta il tor­mento di questo ragazzo. Non è suf­fi­ciente il suo pen­ti­mento a un livello per­so­nale, deve esserci anche un pen­ti­mento esterno, in rap­porto con la strut­tura sociale. Quando avevo finito le prime ste­sure del Tempo mate­riale, un edi­tore mi aveva detto : è come se tu ti fossi dimen­ti­cato di rac­contare il pen­ti­mento dei tuoi pro­ta­go­nisti. Io non l’ho dimen­ti­cato, l’ho escluso. Ricordo la conver­sa­zione, che era stata molto densa perché dicevo « io per­so­nal­mente, sul piano morale, conti­nuo a dare cre­dito al pen­ti­mento, inten­den­dolo come un ten­ta­tivo di leg­gere cri­ti­ca­mente il male, dando fidu­cia al livello indi­vi­duale, al livello col­let­tivo a un’idea del bene. Io conti­nuo a cre­dere in Raskolnikov. I miei per­so­naggi all’interno di questo rac­conto non ci cre­dono. Nimbo non ha mai, nem­meno nel finale, un momento nel quale dice a se stesso, dice al let­tore « Ho sba­gliato ». Sperimenta il dolore ma le ragioni per le quali sventa il pro­getto di seques­trare la bam­bina creola non sono etiche. Non è che dice a se stesso « abbiamo sba­gliato, abbiamo com­piuto il male ». Lui ha una ragione per­so­nale : non vuole che venga fatto del male alla bam­bina creola. Se invece della bam­bina creola, al centro del nuovo pro­getto dei tre com­pa­gni di classe, ci fosse stato un altro, Nimbo, magari, non avrebbe nessun’obie­zione d’ordine morale. È un per­so­nag­gio che consi­dero fino alla fine ambi­guo, non è un per­so­nag­gio che usa l’ultimo tratto della storia per redi­mersi, per fare i conti con l’espe­rienza del male. E tutto questo perché a un certo punto ho avuto la sen­sa­zione che il pen­ti­mento conti­nui a essere qual­cosa a cui ci rife­riamo in ambito etico nel des­cri­vere la dia­let­tica tra il bene e il male, ma qui in realtà non cre­diamo. E come un’oggetto d’anti­qua­riato. Ci hanno detto che è bello, ci hanno detto che è impor­tante, noi ci fidiamo, non dis­cu­tiamo più di tanto del fatto che sia bello o brutto, lo teniamo lì. Ma nella sos­tanza, non ci rap­pre­senta. Io ho la sen­sa­zione che nell’oriz­zonte di rife­ri­menti, il pen­ti­mento non sia più dav­vero un’espe­rienza pro­fonda dell’essere umano, credo che al limite sia simu­lato. Avviene un fatto ter­ri­bile di cro­naca, un’ucci­sione, e arriva di solito quel momento in cui l’avvo­cato rac­conta che il col­pe­vole passa il tempo pian­gendo e si ripente. È come se ci fosse, nella sen­sa­zione che ho io, una diga, un dia­framma, un osta­colo. Non è che non vogliamo pen­tirsi, non ci arri­viamo più, forse perché non è più cen­trale nella nostra espe­rienza un senso tra­gico della vita. Oggi Edipo forse tro­ve­rebbe una solu­zione, ma non credo che sco­perto di aver ucciso il padre, di aver fatto l’amore con la madre si ucci­de­rebbe. Non viviamo dentro un sen­ti­mento tra­gico delle cose ma dentro un senso di rela­ti­viz­za­zione delle cose e allo stesso tempo di irri­le­vanza delle cose stesse. Nulla è deter­mi­nante, nulla è ultimo, deci­sivo. L’ultima cosa è questa : Nimbo e i suoi com­pa­gni deci­dono di essere col­pe­voli, vogliono essere col­pe­voli, guar­dano in questo senso con ammi­ra­zione l’espe­rienza bri­ga­tista. Ho avuto la sen­sa­zione che la colpa sia un pen­siero un po’ infan­tile. Avrebbe senso ragio­nare in termi di res­pon­sa­bi­lità. Ma quando non riesci a ragio­nare in ter­mini di res­pon­sa­bi­lità, ti accontenti della ver­sione minore della res­pon­sa­bi­lità, even­tual­mente in nega­tivo, che è la colpa. Provando a guar­dare le cose in una pros­pet­tiva sto­rica, è come se la gene­ra­zione di chi ha seques­trato, ucciso, durante gli anni set­tanta, è come se aves­sero detto : « non rius­ciamo a essere qual­cosa d’altro » e dunque dob­biamo ad ogni costo essere col­pe­voli. C’è qual­cosa di ter­ri­bile nel dirsi « non ho altro modo per essere un sog­getto all’interno della storia, non c’è un’altra azione rico­nos­ci­bile e tras­for­ma­tiva se non quella dis­trut­tiva, se non ucci­dere qual­cuno ». È un pen­siero limite. È chiaro che c’è uno stato di dis­pe­ra­zione pro­fonda e inac­cet­ta­bile in tutto questo.]

N.B. Le col­lec­tif d’écrivains Wu Ming a publié un mani­feste qui s’iden­ti­fie avec une contre-culture poli­ti­que anti­ca­pi­ta­liste et relève un retour de l’Impegno dans la lit­té­ra­ture contem­po­raine. Parmi les points majeurs des ten­dan­ces lit­té­rai­res actuel­les, Wu Ming note le recours à l’allé­go­rie et l’impor­tance d’un ima­gi­naire per­met­tant d’ouvrir à un « nou­veau réa­lisme » qui n’a plus rien à voir avec le néo- réa­lisme d’après-guerre. Il y a cet égard de nom­breux points com­muns entre l’esthé­ti­que de la New Italian Epic promue par Wu Ming et votre propre pra­ti­que roma­nes­que. L’allé­go­rie est, par exem­ple, une forme pri­vi­lé­giée dans Le temps maté­riel et dans Dépaysement ; de nom­breux pas­sa­ges décri­vent des évènements inex­pli­ca­bles qui relè­vent du fan­tas­ti­que ou plutôt d’un sur­na­tu­rel inté­gré au réel, qui ne sus­cite jamais la sus­pi­cion des per­son­na­ges. Vous iden­ti­fiez-vous à ce mou­ve­ment ?

GIORGIO VASTA : Mon rap­port au col­lec­tif Wu Ming est celui d’un lec­teur. J’ai lu et je lis leurs livres, ils ont eu une impor­tance – je ne sais pas s’ils ont eu aussi une influence, parce qu’après tout, des auteurs aux­quels vous avez porté atten­tion vous influen­cent tout autant que des auteurs et des écritures que vous avez fré­quen­tés de manière impromp­tue, rapi­de­ment. Je sais qu’il y a des auteurs, des livres qui sont plus cen­traux dans ma for­ma­tion, dans mon expé­rience. Cela ne ne signi­fie pas que d’autres auteurs ne peu­vent pas ins­pi­rer ma façon de voir les choses. Les influen­ces sont jus­te­ment sou­vent impré­vi­si­bles. J’ai beau­coup suivi l’œuvre nar­ra­tive de Wu Ming au temps de la New Italian Epic en 2007, je n’avais pas encore publié mon pre­mier livre. En ce qui concerne la reli­gion, je ne suis pas croyant, j’ai reçu une éducation ita­lienne tra­di­tion­nelle typi­que, ce qui ne signi­fie pas qu’elle fut pro­fon­dé­ment reli­gieuse, catho­li­que. C’est la for­ma­tion reli­gieuse que l’on pou­vait rece­voir à la fin des années soixante dans une famille de la moyenne bour­geoi­sie paler­mi­taine, avec un rap­port formel à l’Église ; nous n’allions pas à la messe le diman­che, mais on se consi­dé­rait comme croyants. Pour moi, la reli­gion est avant tout un réser­voir d’images. Dans Le temps maté­riel, la voix nar­ra­tive dit que la Pierre lit le soir à ses fils les his­toi­res qui vien­nent de La Plus Grande Histoire jamais contée . Pour moi, la reli­gion, c’est cela : c’est un ensem­ble de témoi­gna­ges très brefs, dis­cur­sifs, d’images très empha­ti­ques. Enfant, je par­cou­rais ces pages. En écrivant, j’ai pro­cédé de mémoire mais je suis aussi allé repren­dre des livres conser­vés au cours du temps qui cons­ti­tuent une réfé­rence cultu­relle ou plutôt pré-cultu­relle pour moi. Les images, les dra­ma­tur­gies cons­ti­tu­ti­ves pour moi sont celles-là : elles pro­vien­nent de La Plus Grande Histoire jamais contée, elles pro­vien­nent d’autres livres lus enfant, des fables sono­res que j’écoutais sur le tourne-disque, elles pro­vien­nent des récits oraux, de ces his­toi­res qui n’étaient pas for­cé­ment orga­ni­sées, qui pou­vaient être des anec­do­tes, des faits mini­mes, évoquées au déjeu­ner ou au dîner. Mais il y avait un unique détail qui te mar­quait. Moi, au lieu de l’oublier, en gran­dis­sant, c’est comme si je m’en sou­ve­nais tou­jours plus. Des éléments qui devraient rester loin­tains, en racontant, sur­gis­sent au pre­mier plan. Dans Le temps maté­riel, Nimbe raconte que quelqu’un lui a dit que les requins sont des ani­maux domes­ti­ques en Afrique. J’ai écrit cette phrase parce que, lors­que j’allais à l’école pri­maire, un petit garçon plus vif que moi, plus affa­bu­la­teur, en reve­nant de l’école, m’avait raconté cela, et moi je croyais à tout. Aujourd’hui j’en viens à dire : « Heureusement que j’y ai cru ! Heureusement que j’ai été dupé, que j’ai été trompé, que j’ai été à l’inté­rieur de l’illu­sion du récit ! » Parce que, lors­que ce petit garçon me racontait son his­toire, moi je visua­li­sais les contours de la mer, les requins qui se meu­vent. J’en viens à dire que le niveau de vérité de ces images est invio­la­ble. Au fond, moi je conti­nue à croire au fait qu’en Afrique les requins sont des ani­maux domes­ti­ques, parce que, petit, une image s’est fichée quel­que part dans les cir­convo­lu­tions de mon cer­veau. Dans mon ima­gi­na­tion le petit garçon a pris forme, et donc cette chose existe. Les images nar­ra­ti­ves ne peu­vent pas être démen­ties, parce qu’elles pro­dui­sent leur propre vérité et sont auto­no­mes. Le fan­tas­ti­que pour moi n’est pas une stra­té­gie d’expres­sion, une zone de trans­fi­gu­ra­tion du récit, mais l’unique manière pour le récit d’exis­ter. Cela signi­fie que la réa­lité est dou­teuse, qu’elle est fan­tas­mée, incer­taine, elle est le canard et le lapin à la fois. Dans l’expé­rience lit­té­raire, le réel est le fan­tas­ti­que, ce n’est pas une autre chose à laquelle vous par­ve­nez en sui­vant un chemin tor­tueux, il est tou­jours là, peut-être parce que la réa­lité, de la manière dont elle est nor­ma­le­ment com­prise, est si peu, si insuf­fi­sante que vous ne pouvez pas accep­ter de voir seu­le­ment le canard ou seu­le­ment le lapin. Je n’ai pas à adop­ter un cer­tain com­por­te­ment, je ne me dis pas : « Désormais, je me mets à ima­gi­ner », non, la réa­lité se mani­feste sous une forme déjà ima­gi­née, déjà incer­taine, mélan­gée. À un niveau per­son­nel, moi je n’ai ni l’ambi­tion, ni la force de donner forme à un ima­gi­naire qui pour­rait se sub­sti­tuer à l’ima­gi­naire col­lec­tif. Je sais que je n’ai pra­ti­que­ment pas connais­sance de la réa­lité telle qu’elle est nor­ma­le­ment com­prise. Je sais quel­que chose de l’ima­gi­naire, ce n’est pas comme si j’étais revenu de la lune depuis hier. Peut-être que ce qui arrive aux gens, c’est cela : leur ima­gi­na­tion prend tou­jours plus la place, et de façon tou­jours plus radi­cale, sur leur ima­gi­naire. Si une per­sonne lit encore le monde selon son ima­gi­naire, quelle perte de temps si elle ne s’est pas conquis un regard propre, avec toutes les limi­tes de ce regard, mais aussi avec toutes ses res­sour­ces…. Elle ne sait pas ce qu’elle y perd.

[Il mio rap­porto col col­let­tivo Wu Ming è il rap­porto di un let­tore. Ho letto e leggo i loro libri, hanno avuto un’impor­tanza, non so se anche un’influenza perché poi ti influen­zano autori e scrit­ture su cui ha concen­trato la tua atten­zione, ma anche autori e scrit­ture che hai fre­quen­tato in modo estem­po­ra­neo, veloce. So che ci sono autori, libri che sono più cen­trali nella mia for­ma­zione, nella mia espe­rienza. Questo non vuole dire che altri autori non siano finiti nel mio modo di guar­dare le cose. Le influenze sono appunto spesso impre­ve­di­bili. Ho seguito tanto l’opera nar­ra­tiva di Wu Ming ai tempi del New Italian Epic nel 2007, io non aveva ancora pub­bli­cato il primo libro. Rispetto alla reli­gione, io non sono cre­dente, ho rice­vuto una for­ma­zione tipi­ca­mente ita­liana, che non signi­fica pro­fon­da­mente reli­giosa, cat­to­lica. Ho rice­vuto una for­ma­zione, che è una for­ma­zione reli­giosa che poteva esserti impar­tita alla fine degli anni ses­santa in una fami­glia della media bor­ghe­sia paler­mi­tana, con un rap­porto for­male alla Chiesa, non si andava a messa la dome­nica, però ci si rite­neva cre­denti. Per me, la reli­gione è prima di tutto un patri­mo­nio di imma­gini. Nel Tempo mate­riale, la voce nar­rante dice che la Pietra, la sera, legge ai figli, le storie che arri­vano da La più grande storia mai rac­contata. Per me, la reli­gione è questo : è un insieme di testi molto brevi, dis­cor­sivi e di imma­gine molto enfa­ti­che che sot­to­li­neano i pas­saggi, i momenti. Da pic­colo, guar­davo le pagine. Un po’ sono andato a memo­ria, un po’ sono andato a ripren­dere libri che sono stati conser­vati nel corso del tempo e che per me cos­ti­tuis­cono un rife­ri­mento cultu­rale, ma in realtà è come se fosse pre­cultu­rale. Nel bene o nel male, le imma­gini, le dra­ma­tur­gie per me cos­ti­tui­tivi sono queste : arri­vano dalla Più grande storia mai rac­contata, arri­vano da altri libri che mi veni­vano letti da pic­colo, dalle fiabe sonore che ascol­tavi dentro i « man­gia­di­schi », arri­vano dal rac­conto orale, da quelle storie che non per forza erano storie orga­niz­zate, pote­vano essere epi­sodi, dei fatti minimi che ven­gono evo­cati a pranzo, a cena. Però c’era un sin­golo det­ta­glio che ti col­piva. Io invece di dimen­ti­carlo, cres­cendo, è come se l’avessi ricor­dato sempre di più. Degli ele­menti che dovreb­bero rima­nere lon­tani, rac­contando, si conquis­ta­vano una specie di primo piano. Nel Tempo mate­riale, Nimbo rac­conta che qual­cuno gli ha detto che in Africa gli squali sono come ani­mali domes­tici. Ho scritto queste frasi perché quando fre­quen­tavo le scuole ele­men­tari, un ragaz­zino più sve­glio di me, più nar­ra­tore, tor­nando da scuola, mi aveva rac­contato questa cosa, e io cre­devo a tutto. E mi viene da dire : Per for­tuna che ho cre­duto a tutto, per for­tuna che sono stato preso in giro, che sono stato rag­gi­rato, che sono stato dentro l’illu­sione del rac­conto ! Perché quando quel ragaz­zino mi rac­contava degli squali assi­mi­lati ad ani­mali domes­tici, io visua­liz­zavo, il tratto di mare, i squali che si muo­vono. Mi viene da dire che il livello di verità di quelle imma­gini è invio­la­bile. In fondo, io conti­nuo a cre­dere nel fatto che in Africa gli squali sono ani­mali domes­tici, perché ha preso da ragaz­zino un’imma­gine, si è confic­cata, da qual­che parte, nelle cir­convo­lu­zioni cere­brali, e dunque quella cosa esiste. Le imma­gini nar­ra­tive non pos­sono essere smen­tite perché pro­du­cono la loro pro­pria verità e sono auto­nome. Il fan­tas­tico per me non è una stra­te­gia espres­siva, una zona di tras­fi­gu­ra­zione del rac­conto, ma è l’unico modo in cui il rac­conto può esis­tere. Significa che la realtà è dub­biosa, è duck/rabbit, è incerta, è fan­tas­ti­cata. Nell’espe­rienza let­te­ra­ria, il reale è il fan­tas­tico, non è un’altra cosa alla quale arrivi seguendo un per­corso com­pli­cato, è sempre lì, pro­ba­bil­mente perché la realtà per come viene nor­mal­mente intesa, è così poco, è così insuf­fi­ciente che non puoi accet­tare di vedere solo Duck o solo Rabbit. Non c’è da atti­vare da parte mia un com­por­ta­mento, non mi dico : « adesso mi messo a fan­tas­ti­care », no, la realtà si mani­festa in una forma già fan­tas­ti­cata, già incerta, mes­co­lata. A un livello per­so­nale, io non né l’ambi­zione né la forza di dar forma a un imma­gi­na­rio che possa sos­ti­tuirsi all’imma­gi­na­rio condi­viso. A un livello per­so­nale, io so che non ho pra­ti­ca­mente conos­cenza della realtà per come viene nor­mal­mente intesa. So qual­cosa dell’imma­gi­na­rio, non è che sono sceso dalla luna da ieri. Mi viene da dire che forse quello che accade alle per­sone è questo : la loro imma­gi­na­zione pren­dre sempre più il posto, in modo sempre più radi­cale, dell’imma­gi­na­rio. Se una per­sona legge il mondo ancora in rela­zione all’imma­gi­na­rio... che spreco di tempo ! Se non si è conqui­stata un suo sguardo, con tutti i limiti di questo sguardo, ma anche con tutte le sue risorse non sa che si perde.]