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Jean-Michel Espitallier, Syd Barrett, le rock et autres trucs.

Sur Jean-Michel Espitallier, Syd Barrett, le rock et autres trucs, Philippe Rey, 2009, Paris., 188 pages, dont 11 s’effa­çant dans la sec­tion finale "OFF". Sur Facebook

La ryth­mi­que éspitallière manie le Je me sou­viens qui res­tait à écrire après Pérec, mais autre­ment, par une autre lita­nie. L’énumération des noms mar­quants "dézan­nés­sois­san­tes" accom­pa­gne la célé­brité d’une étoile qui fut très vite en route vers l’ano­ny­mat. Mais Le show busi­ness n’oublia pas Syd Barrett , le fon­da­teur de Pink Floyd. "Dommage qu’il n’ait pas conti­nué avec les Floyd. Il aurait pu en faire, jusqu’au bout, un très bon groupe". Et "Tout cela conso­lide la mytho­lo­gie nais­sante du génie fou, l’incre­va­ble mythe du poète maudit sous l’angois­sante tutelle de Saturne. Mais le silence de Syd Barrett n’éteint pas le mythe, il l’ampli­fie. Barrett crée le manque de Barret. Et l’influence croît." (p.66)

Influence de qui ou quoi ? On est tenté de répon­dre : influence du poème qui est à trou­ver puisqu’il est trou­va­ble — à hau­teur d’homme, ou plutôt dans sa cour­bure concen­trée d’hori­zons sono­res. Comme par exem­ple, dans ce docu­ment où S.B. est à la gui­tare sur "Interstellar Overdrive". Ce mor­ceau pourra accom­pa­gner la lec­ture de ce qui est ( et du com­ment c’est) écrit dans ce livre. En évoquant cette " musi­que qui passe direc­te­ment dans la poi­trine en se mélan­geant avec tout un tas d’autres émotions" (p.132), J-M. Espitallier par­vient à nous "enve­lop­per, comme dans un vieux man­teau, dans la situa­tion qu’elle nous rap­pelle". (p.122). Dans la suite docu­men­tée de l’his­toire du rock et de la pop que ce livre cons­truit sans y paraî­tre, on entre comme si on était un fan. Mais ce n’est pas exac­te­ment léger comme un fan­zine. On y lira sur­tout un essai d’admi­ra­tion et de décep­tion, c’est-à-dire un récit et un com­men­taire lucide. Expert dans la docu­men­ta­tion sonore et visuelle de cette période, J-M. Espitallier sait réi­té­rer et faire varier comme per­sonne les scènes d’une his­toire qui a ali­menté le "cinéma" phé­no­mé­nal qu’on s’en est fait, per­son­nel­le­ment, inter-per­son­nel­le­ment, et géné­ra­le­ment. Dans les retours ludi­ques dont J-M. Espitallier a le secret, un poème contem­po­rain s’écrit, et conti­nue à écrire et à réflé­chir le rien. Rien n’est plus inté­res­sant que rien, sur­tout quand il vibre sub­ti­le­ment, tel un "véhi­cule télé­pa­thi­que"(p.122), au bord de son bat­te­ment poly­ryth­mi­que-pro­gres­sif. Le 30 novem­bre 2004 (p.31), Espitallier-Baudelaire voit Barrett-le Passant à un car­re­four subur­bain de Cambridge. Sous le ciel livide d’Albion, se rejoue et se déjoue le cri et l’extra­va­gance du désir. Mais l’adresse rageuse et déses­pé­rée du "Ô toi qui le savais !" perce-t-elle encore notre écran ? Où en est-on vrai­ment de l’(amour) impos­si­ble, qui "est" dans la seule mesure où il est passé, tel un fan­tôme, à tra­vers sa propre exis­tence ? Et puisqu’on aura com­pris que Syd Barrett = la poésie, en quoi ce pas­sant est-il encore consi­dé­ra­ble ?

"(...) j’avais vu passer Syd Barrett. Et je n’avais rien vu. Le voir c’était n’avoir pas vu, ne pas le voir c’était n’avoir pas vu, ne pas le voir c’était conti­nuer de voir que je ne pou­vais pas le voir, c’était n’avoir pas vu, n’avoir rien vu, c’était n’avoir pas vu qu’il n’y avait rien à voir, et l’avoir vu c’était encore n’avoir rien vu quand j’ai vu passer Syd Barrett que je ne pou­vais voir, car en réa­lité le voir, c’était voir que je ne pou­vais pas le voir, et j’étais venu voir que je ne pou­vais voir, que je conti­nuais de ne rien voir, que je conti­nue­rais de ne rien jamais voir de Syd Barrett que j’avais vu passer quand même, et je m’étais quand même vu ne pas le voir parce que me voir le voir c’était n’avoir rien vu, ne rien voir c’était n’avoir pas vu, c’était voir qu’on ne pou­vait le voir, voir en réa­lité qu’on ne pou­vait voir qu’il pou­vait être vu en réa­lité, et l’avoir vu n’était pas voir, et l’avoir vu en ayant été vu conti­nuait de ne rien me faire voir, juste me voir avoir vu que je ne voyais pas qu’on ne pou­vait le voir, parce qu’il n’exis­tait pas et que le voir c’était voir ce qui n’exis­tait pas, mais comme j’avais vu passer Syd Barrett quand même, Syd Barrett me voyant voir que j’avais vu quand même passer Syd Barrett quand même, je voyais que je n’exis­tais pas si je voyais ce qui n’exis­tait pas, si je voyais que je conti­nuais de ne pas voir parce qu’il n’exis­tait pas et que je le voyais, je voyais que je n’exis­tais pas parce qu’en réa­lité il n’y avait rien à voir parce qu’il n’exis­tait plus, il n’y avait rien à voir, plus rien à voir, parce que j’avais quand même vu passer Syd Barrett quand même qui n’avait rien à voir avec celui que j’avais vu passer, parce qu’il n’exis­tait plus, et si j’avais vu quand même ce qui n’exis­tait plus, j’avais vu que je n’exis­tais plus et c’est ce que je vou­lais voir parce qu’en voyant que je n’exis­tais plus, je voyais qu’il n’exis­tait pas, qu’il n’exis­tait plus et s’il n’exis­tait plus c’est qu’on ne pou­vait plus le voir mais si j’avais vu passer Syd Barrett quand même qui n’exis­tait plus, je voyais que j’exis­tais quand même et si j’exis­tais quand même il exis­tait quand même et me fai­sait quand même exis­ter. Et j’étais venu véri­fier que je pour­rais le voir, que je pour­rais me voir le voir, le voir me voir. Mais il n’exis­tait plus et je n’exis­tais plus parce que chacun de nous se trou­vait pro­jeté dans l’angle mort de la vision de l’autre et qu’à l’ins­tant ou nous nous étions vus ne pas nous regar­der nous étions seuls à exis­ter dans la vision de soi. Et j’avais voulu voir que je ne ver­rais pas. Passer Syd Barrett quand même." (p.37-39)

Donc pour dire : dans ce livre, allez y voir - ou plutôt tendez l’oreille, "tout est là."

Eric Dayre