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Séminaire Babel : La musique contemporaine et les langues

Séminaire Babel : La musi­que contem­po­raine et les lan­gues

Samedi 17 novem­bre 2012 : 10h30-13h / 15h-18h École Normale Supérieure (45 rue d’Ulm, Paris) Salle de sémi­naire du CIRPHLES (USR - 3308) Département de phi­lo­so­phie - Sous-sol du Pavillon Pasteur

Atelier sur la langue fran­çaise

Séminaire Babel

Calendrier 2012-2013 :

• 17 novem­bre 2012 : Atelier sur la langue fran­çaise

Journée coor­ga­ni­sée avec Michel Bernardy (Le jeu verbal – Oralité de la langue fran­çaise ; L’âge d’homme ) Participation des acteurs Valérie BezaNçon, Régis Bocquet et Sava Lolov François Nicolas : "Comment rendre musi­ca­le­ment jus­tice d’un poème en langue fran­çaise ?"

• 19 jan­vier 2013 : Atelier sur la langue russe

Journée coor­ga­ni­sée avec Jean-Marc Mory Interventions : Alexandre Markov (acteur, met­teur en scène, péda­go­gue), Valentina Beletskaya (actrice, péda­go­gue, spé­cia­liste de la voix et de la dic­tion)

• 30 mars 2013 : De la langue alle­mande (Attention : séance décen­tra­li­sée à Rouen)

• 13 avril 2013 : Atelier sur la langue arabe

LIEN

Comment rendre musi­ca­le­ment jus­tice d’un poème en langue fran­çaise ? François Nicolas « La mélo­die est la jus­tice rendue par la musi­que à la poésie. » Platon [1]

Comment une œuvre musi­cale accueillant un poème peut-elle rendre jus­tice de sa puis­sance poé­ti­que ? Une mélo­di­sa­tion du poème peut-elle y pour­voir, et dans quel­les condi­tions ? Qu’en est-il en par­ti­cu­lier quand ce poème relève de la langue fran­çaise ? Force est de cons­ta­ter que la grande majo­rité de la mélo­die dépo­sée sur des vers fran­çais déforme sans trop d’égards leur logi­que poé­ti­que. Qu’il suf­fise par exem­ple de remar­quer, de Rameau jusqu’à Poulenc, ce parti pris mélo­di­que (musi­ca­le­ment jus­ti­fia­ble mais poé­ti­que­ment injus­ti­fia­ble) d’ajou­ter une syl­labe aux mots sus­pen­dant la pro­so­die autour d’un e muet[2]. Ainsi, donner forme mélo­di­que au dis­cours poé­ti­que déforme le repli secret (entre logi­ques acous­ti­que et signi­fiante) de la pro­so­die et met à mal la dia­lec­ti­que poé­ti­que entre cette forme que le poème mesure étroitement et cet informe qu’une voix concrète et un sens irra­diant mobi­li­sent. Ce type d’opé­ra­tion peut-il par­ti­ci­per d’un rap­port musi­que/poésie s’ins­cri­vant sous le signe d’une jus­tice rendue par l’œuvre musi­cale ? Comment cha­cune des sept moda­li­tés sui­van­tes de voca­li­sa­tion (décla­ma­tion // can­tilla­tion / psal­mo­die / réci­ta­tif / chan­son / air // voca­li­ses) dif­fracte-t-elle musi­ca­le­ment cette ques­tion ? En quel sens le poème de langue fran­çaise pose-t-il ici des pro­blè­mes spé­ci­fi­ques qu’on ne retrouve guère dans d’autres lan­gues tels le latin, l’alle­mand, l’anglais, le russe ou même l’arabe[3] ? L’enjeu de ces consi­dé­ra­tions relè­vera du pres­crip­tif : il s’y agit de fixer quel­ques orien­ta­tions géné­ra­les concer­nant un vaste projet com­po­si­tion­nel (Égalité ’68) mobi­li­sant, au ser­vice des idées poli­ti­ques d’émancipation en jeu pen­dant Mai 68, les six lan­gues pré­cé­dem­ment men­tion­nées. À ce titre, appe­lons rendre jus­tice le fait de donner forme à une pos­si­bi­lité jusque-là informe. On convien­dra alors qu’un véri­ta­ble poème (ce qu’un simple livret d’opéra n’est pas tout à fait) rend lui-même jus­tice poé­ti­que de la langue qu’il met en œuvre puisqu’en repliant secrè­te­ment ses faces acous­ti­que et signi­fiante, ses phra­sés de voix et de sens, il donne forme sen­si­ble à une pos­si­bi­lité jusque-là ina­per­çue de cette langue. On exa­mi­nera alors com­ment une œuvre musi­cale peut s’atta­cher à avouer ce secret poé­ti­que en dépliant dans un espace pro­pre­ment musi­cal le repli propre du poème sur sa langue. Cette opé­ra­tion musi­cale de dépli passe par une double action trai­tant sépa­ré­ment cha­cune des com­po­san­tes du pli poé­ti­que : d’une part l’œuvre musi­ca­lise la langue concer­née (dans notre situa­tion, elle invente un fran­çais musi­cal, et c’est bien à ce titre que, par exem­ple, l’opé­ra­tion musi­cale de syl­la­bi­sa­tion pré­cé­dem­ment rele­vée prend sens) ; d’autre part elle pré­sente musi­ca­le­ment le poème (en le par­ti­tion­nant, phra­sant, ryth­mant, mélo­di­sant…) selon dif­fé­rents angles de voca­li­sa­tion (voir les sept moda­li­tés indi­quées plus haut) en sorte d’irra­dier dans la musi­que sa « signi­fiance » propre. Ce fai­sant, l’œuvre prend en charge une syn­thèse pro­pre­ment musi­cale de cette langue et de ce poème selon un nou­veau repli venant fixer un second secret, cette fois pro­pre­ment musi­cal : ce secret musi­cal à l’œuvre (que le poème, péné­trant et fer­ti­li­sant la musi­que, a contri­bué à engen­drer[4] ) apte à avouer le secret verbal du poème ini­tial[5].

[1] La République de Platon (Alain Badiou ; Fayard)

[2] Rameau : « Rendez hom­mage à votre Rei-ne ! » / « du Roi que Diane nous don-ne » (Hyppolite & Aricie) ; Debussy : « où te ver­rais-je ? Dans le parc, près de la fon­taine des aveu-gles ? » (Pelléas & Melisande) ; Fauré : « notre unique espé­ran-ce / nous rom­pons le silen-ce » (Racine), « si bleu, si cal-me / berce sa pal-me » (Verlaine) ; Ravel : « l’expé­rience en ai-je » (Marot), « de ton œil angéli-que » (Mallarmé) ; Poulenc : « blanc d’œuf infor-me / l’œil fi-xe » (Éluard) - sans parler de Brassens (Verlaine : « d’un saut de pu-ce »), Ferré (Aragon : « ni la gloire ni les lar-mes ») ou Reggiani (Villon : « deve­nons cendre et pou-dre »). Seule excep­tion nota­ble, il est vrai dans une pro­so­die peu intel­li­gi­ble : Boulez (Char : « la mer mor-t’ / vagues par-dessus tê-t’ » - Mallarmé : « un coup d’aile i-vr’ / sous le gi-vr’ »).⇒ cf. pour écouter.

[3] En fran­çais par exem­ple, la logi­que de l’accent toni­que relève de la syn­taxe (« La dic­tion dépend de la gram­maire. » Corneille) quand elle relève, dans les autres lan­gues men­tion­nées, de la pho­né­ti­que lexi­co­gra­phi­que.

[4] Cf. la méta­phore sexuelle de Wagner où le poème, opé­rant comme por­teuse à laquelle s’enlace une modu­lante har­mo­ni­que, enfante une modu­lée mélo­di­que.

[5] Cf. les deux « théo­rè­mes » (res­pec­ti­ve­ment de Lacan et de Ja’far al-Sâdiq) : « ce n’est pas parce qu’on l’avoue qu’un secret cesse d’être un secret », « seul un secret peut avouer un secret ».