- en salle D2, 109, site DESCARTES, le matin
Amphi L, site MONOD, à partir de 14h15.
Partant du motif littéraire de la théorisation de l’anti-pouvoir élaboré dans Bartleby le scribe d’Herman Melville nous explorerons la thématique de la réticence, distincte de la rétivité, de la dissidence et de la résistance. Originellement suppression ou omission d’une chose que nous devrions dire (en l’occurrence les paroles d’acquiescement aux ordres ou injonctions adressés à l’individu), la réticence contrevient aux lois d’un système d’organisation sociale. Exposée au risque d’être perçue comme affirmation unilatérale d’un droit de retrait, la manifestation de la réticence n’en paraît que plus inacceptable. D’où la condamnation du sujet réticent à la mise au rebut. Le zèle et l’enthousiasme aujourd’hui requis par la logique de production en vue de l’augmentation de la performance font planer la menace d’une aggravation de ce sort pour tout individu jugé acédique, voué au rejet dans les « froids espaces du monde » (Beckett). Fluide nourricier de la réticence, l’humeur acide et froide ne saurait correspondre à la complexion d’un sujet transformé en « espace de compétition » par la rationalité néolibérale (Dardot et Laval). De surcroît, les sous-entendus rhétoriques de la réticence (le fait de se contenter de faire entendre ce que l’on préfère ne pas dire explicitement) sont inaudibles par la « nouvelle raison du monde » (ibid.) dont les seules oreilles sont celles du mur des lois inflexibles qu’elle conduit à promulguer. Cependant, la légalité issue du pouvoir peut-elle valoir sans la légitimité née de l’autorité ? Limitative de l’emprise du pouvoir sur la vie (zoé et bios), celle-ci est combat de l’ignorance ou du mépris de la réalité des différents espaces (hétérotopies) et temps (hétérochronies) du travail qui en font la complexité vivante. Genèse du devenir auteur de sa propre vie, l’autorité est fondamentalement réticence à toute forme d’éviction de la vie et de son éprouvé sensible au cœur de l’activité humaine – industrieuse ou oisive. Le sens du travail se résumerait-il aujourd’hui à savoir faire fructifier les talents de son âme industrieuse (industria) et à incarner les normes de la rationalité managériale ? Cela sous l’influence plus ou moins consciente de la « religion industrielle » (Musso), qui, des moines grégoriens à nos jours, a su se faire la promotrice du culte de l’efficacité. Culte de nos jours associé à celui d’une « santé mentale positive », face auquel nous nous trouvons confrontés au paradoxe d’une réticence qui doit inventer ses armes sans paraître mesquine... Mais au fond, pourquoi travaillons-nous ? Certes provocatrice et semblant jouer à contretemps, dans un contexte de chômage de masse, cette question ne s’inscrit pas moins dans le prolongement nécessaire de notre réflexion. La littérature, le cinéma et les arts contemporains sont le lieu privilégié où se reconfigure, s’exprime et se pense une relation « réticente » entre individu et travail, dans le contexte néo-libéral et « global » qui caractérise les politiques actuelles de l’emploi. Comment vivre sans travail ? Et comment vivre au travail ? Ces deux questions expriment la bipolarité extrême d’un même empêchement de vivre aujourd’hui lié aux conditions de travail et du travail. De cet empêchement, le symptôme récurrent est la réticence éprouvée face aux conditions proposées d’exercice de l’emploi, à l’attitude de l’employeur et de partenaires sociaux consentants. Quelles sont les traductions littéraires et artistiques de ce symptôme ? Comment la philosophie et l’anthropologie pensent-elles le rapport à la fois crucial et devenu souvent intenable entre individu et travail ? Comment la littérature et les arts représentent-ils et pensent-ils aujourd’hui cette « réticence » ?
Organisé par
Eric Dayre, Professeur de Littérature comparée, directeur du CERCC, ENS de Lyon.
Florence Godeau, Professeur de Littérature comparée, Université Jean Moulin, membre du CERCC-ENS de Lyon
Eric Hamraoui, Maître de conférences HDR en philosophie au Centre de Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD) du CNAM, co-responsable de l’équipe de recherche « Psychosociologie du Travail et de la Formation. Anthropologies des Pratiques ».
Journée d’étude,
« Le travail réticent »
ENSL, 31 mai 2018
9h30-10h : Accueil des intervenants
10h-10h30 : Allocutions officielles
10h30-11h00 : Florence Godeau, Professeur de Littérature comparée, Université de Lyon (Jean Moulin), membre du CERCC-ENSL : « Bartleby comme symptôme. »
11h00-11h30 : Pierre-Yves Gomez, professeur à l’EMLYON Business School : « Sens et condition du travail. »
11h30-12h : PAUSE
12h15-12h45 : Eric Dayre : Professeur de Littérature comparée, Directeur du CERCC, ENSL : « Secret Bartlebies : "toil", "leisure", "motionlessness", le paradigme encéladien (quelques remarques sur Moby Dick, Bartleby, Pierre ou les Ambiguïtés, Benito Cereno). »
DEJEUNER
14h15-14h45 : Mathieu Raybois, chercheur associé au Centre de Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD) du CNAM (Paris) : « Espérer du travail, le fuir, l’inventer. »
14h45-15h15 : Christiane Vollaire, membre du programme Non-lieux de l’exil (EHESS-Inalco), chercheure associée au Centre de Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD) du CNAM (Paris) : « Résister aux finalités de l’organisation du travail. »
15h15-15h45 : PAUSE
16h00-16h30 : Alexis Cukier, chercheur associé au Laboratoire Sophiapol (université Paris Nanterre) : « Travail vivant, souffrance éthique et réticence. »
16h30-17h00 : Pauline Perez, ATER en psychosociologie du travail à l’université Toulouse 3 : « Entre réticence et révolte : le cas des intermittents du travail. »
17h-17h30 : Eric Hamraoui, maître de conférences HDR en philosophie au CNAM (Paris) : « La réticence, forme du courage d’être ? »
17h30-18h : Débat de clôture.
* Capture d’écran, Elizabeth Wilson dans "Patterns", 1956, film de Fielder Cook, scénario : Rod Serling, décor : Richard Sylbert, photographie : Boris Kaufman.