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27 novembre 2020, Journée d’étude : Voyager en philosophe (XIXe-XXIe siècles), ENS de Lyon

Journée d’étude : Voyager en philosophe (XIXe-XXIe siècles). 27 novembre 2020, ENS de Lyon

Organisation : Liouba Bischoff (CERCC)

Rousseau déplo­rait, dans son Discours sur l’ori­gine et les fon­de­ments de l’iné­ga­lité parmi les hommes, le manque d’obser­va­tion des sol­dats, marins, mar­chands et mis­sion­nai­res et en appe­lait à la for­ma­tion d’un voya­geur-phi­lo­so­phe capa­ble d’user de sa raison et d’aller étudier les nations. Si un voya­geur comme Volney, au tour­nant des XVIIIe et XIXe siè­cles, en cons­ti­tue l’incar­na­tion par­faite, la figure du voya­geur-phi­lo­so­phe survit-elle au Romantisme et à l’ « entrée en lit­té­ra­ture » (R. Le Huenen) du récit de voyage ? Lamartine dit encore voya­ger « en poète et en phi­lo­so­phe », mais cette double pos­ture semble de moins en moins reven­di­quée au fur et à mesure que s’auto­no­mi­sent les dis­ci­pli­nes : la tra­di­tion du voyage phi­lo­so­phi­que aurait qua­si­ment dis­paru après le XVIIIe siècle, si l’on en croit Lévi-Strauss qui espère la res­sus­ci­ter avec Tristes tro­pi­ques. On retrouve la même idée chez Kenneth White, qui rap­pelle l’exis­tence, avant toutes les spé­cia­li­sa­tions, d’une « phi­lo­so­phie natu­relle » dans laquelle la poésie, les scien­ces et la phi­lo­so­phie étaient réu­nies, avec une affi­lia­tion expli­cite à Thoreau, voya­geur-phi­lo­so­phe s’il en est (voir K. White, L’Esprit nomade, Le Livre de poche, 2008). La col­lec­tion « Terre humaine » et la géo­poé­ti­que témoi­gnent ainsi, dans la seconde moitié du XXe siècle, de la recher­che d’une appré­hen­sion plus glo­bale de l’homme et de la Terre, par-delà une spé­cia­li­sa­tion crois­sante des dis­ci­pli­nes. En paral­lèle, la géo­phi­lo­so­phie impul­sée par Deleuze et Guattari s’enra­cine dans la lec­ture d’Humain, trop humain de Nietzsche, qui exalte le vaga­bon­dage comme condi­tion de la liberté de la raison.  Ces retrou­vailles de la phi­lo­so­phie et de la lit­té­ra­ture via­ti­que abou­ti­raient ainsi à une nou­velle figure de voya­geur-phi­lo­so­phe à même de concep­tua­li­ser l’obser­va­tion du monde, que l’on songe à Bruce Bégout qui théo­rise l’habi­ta­tion de Los Angeles à tra­vers Heidegger, Agamben, Emerson et Thoreau (Los Angeles. Capitale du XXe siècle, Inculte/Barnum, 2019), ou aux phi­lo­so­phes qui font l’éloge de la marche à pied (Frédéric Gros, Marcher, une phi­lo­so­phie, Flammarion, 2008). Mais qu’ils ana­ly­sent le phé­no­mène urbain ou les effets du dépla­ce­ment sur l’esprit, les phi­lo­so­phes n’occu­pent-ils pas le même ter­rain que les écrivains voya­geurs ? Il fau­drait s’inter­ro­ger sur ce phé­no­mène de concur­rence pour savoir com­ment lit­té­ra­ture et phi­lo­so­phie défi­nis­sent leur péri­mè­tre de com­pé­tence quand il s’agit de penser le voyage et de rela­ter une expé­rience de l’ailleurs ou de l’espace. Si la lit­té­ra­ture via­ti­que semble par­fois se can­ton­ner d’elle-même à une forme de modes­tie phi­lo­so­phi­que, qui inter­di­rait une ampleur concep­tuelle (« petite phi­lo­so­phie du voyage », « peti­tes mora­les por­ta­ti­ves »), doit-on pour autant lui dénier toute valeur phi­lo­so­phi­que ou peut-on tenter, comme le fait aujourd’hui Pierre Macherey à propos des romans de Jules Verne (En lisant Jules Verne, De l’inci­dence éditeur, 2019), de déga­ger les « phi­lo­so­phè­mes » ou les « scien­tè­mes » qui sous-ten­dent les tra­jec­toi­res des voya­geurs ? Dans quelle mesure la lit­té­ra­ture de voyage est-elle irri­guée par la phi­lo­so­phie et, inver­se­ment, qu’apporte-t-elle à la pensée phi­lo­so­phi­que ? A partir de quand, dans l’his­toire lit­té­raire, le voya­geur cesse-t-il de se penser comme un phi­lo­so­phe, et à partir de quand s’auto­rise-t-il à le faire à nou­veau ?

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