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Parution. "Mémoire vocale : 200 poèmes allemands du huitième au vingtième siècle", par Thomas Kling

Mémoire vocale : 200 poèmes alle­mands du hui­tième au ving­tième siècle, par Thomas Kling.

Une antho­lo­gie unique de la poésie en langue alle­mande, tra­duite par Laurent Cassagnau et Aurélien Galateau.

En 2001, l’éditeur DuMont Verlag pose au poète Thomas Kling la ques­tion sui­vante : « De quels poèmes en langue alle­mande avons-nous besoin en ce début de siècle ? »

C’est en tant que réponse à cette ques­tion qu’il faut lire le choix pré­senté ici : une sélec­tion de poèmes indis­pen­sa­bles pour le poète qu’est Thomas Kling, non une antho­lo­gie de plus.

Mémoire vocale a valeur de pro­gramme poé­to­lo­gi­que : des for­mu­les magi­ques de Mersebourg aux poètes et poé­tes­ses d’aujourd’hui, sont pré­sen­tés ici des textes des­ti­nés à mettre en valeur toutes les res­sour­ces qu’offre l’alle­mand sur une dizaine de siè­cles, dans la diver­sité de ses regis­tres : langue incan­ta­toire, jar­gons et hybri­da­tions telles que le rot­wel­sch, l’argot des clas­ses mar­gi­na­li­sées, mêlé d’alle­mand, de néer­lan­dais et de yid­dish et parlé sur­tout dans l’ouest de l’Allemagne, qui a tou­jours fas­ciné le Rhénan qu’était Kling. Si la plu­part des noms atten­dus sont pré­sents (Bachmann, Brecht, Celan, Goethe, Hölderlin, Jandl, Nietzsche, Novalis, Rilke…) Il s’agit là d’un choix sin­gu­lier, à contre-pied du canon lit­té­raire, notam­ment par la place limi­tée faite à la tra­di­tion clas­si­que et roman­ti­que, mais qui offre une part belle à la poésie du Moyen Âge, aux auda­ces de la poésie « baro­que », à la diver­sité inven­tive des écritures moder­nes et contem­po­rai­nes. Celui pour qui le poème est « ins­tru­ment opti­que et acous­ti­que de pré­ci­sion qui pro­vient et se met au ser­vice de la per­cep­tion, la per­cep­tion exacte de la langue » assume ici la sub­jec­ti­vité d’un choix moins de poètes que de textes admi­rés, ce qui peut expli­quer les sur­pri­ses que réserve Mémoire vocale : la poé­tesse d’ori­gine juive Gertrud Kolmar, morte en dépor­ta­tion, est placée dans l’immé­diat voi­si­nage de Josef Weinheber, un poète autri­chien contro­versé en raison de sa col­la­bo­ra­tion avec le régime nazi ; Hans-Magnus Enzensberger, dont Thomas Kling n’a jamais fait mys­tère du peu d’inté­rêt qu’il por­tait à sa poésie de « gar­dien de musée », est repré­senté, alors que Nelly Sachs, lau­réate du Prix Nobel de lit­té­ra­ture en 1966, ne l’est pas. De même l’Autrichien Hugo von Hofmannsthal, qui a été un repré­sen­tant impor­tant du sym­bo­lisme alle­mand, est absent de cette antho­lo­gie, Kling lui pré­fé­rant son ami Rudolf Borchardt, un strict for­ma­liste, théo­ri­cien d’une « Restauration créa­trice » nour­rie d’Antiquité et de clas­si­cisme. Si « mémoire vocale » n’échappe pas au statut de « haie hégé­mo­ni­que » propre à toute antho­lo­gie, en ce qu’elle fixe et valo­rise un corpus par déli­mi­ta­tion d’un jardin clos dans lequel s’épanouit un choix de fleurs, il importe de repla­cer ce flo­ri­lège dans le contexte de la poé­ti­que de Kling qui consi­dère que « la poésie pro­cède du flux de don­nées, elle est – si elle réus­sit, si elle fonc­tionne –, un flux dirigé de don­nées et déclen­che un tel flux chez le lec­teur ». C’est à la reconfi­gu­ra­tion d’un tel flux dyna­mi­que que tra­vaille Mémoire vocale.

Illustration ©Alain Rivière, LE SONGE D’APELLES. Acide sur tôle per­fo­rée façon­née, trois pavillons en laiton. 192 x 280 x 15cm, 1990.