CERCC
 

Colloque International "Traduire sans papiers" : 10-11-12 octobre 2012

« Traduire sans papiers » : Poétiques de la traduction/politiques de la traductologie / Illegal Translation : Poetics/Politics of Translation (English follows)

ENS de Lyon – CERCC (Centre d’Etudes et de recher­ches Comparées sur la créa­tion, EA 1633)

10-12 octo­bre 2012

Recueil des ACTES du Colloque

PROGRAMME
PDF - 1.2 Mo

Appel à communications :

« La tra­duc­tion favo­rise la com­pré­hen­sion entre les peu­ples et la coo­pé­ra­tion entre les nations », lit-on dans les actes de la confé­rence de Nairobi orga­ni­sée par l’Unesco en 1976. On se figure volon­tiers la tra­duc­tion comme un pont per­met­tant de passer d’une « langue source » à une « langue cible » comme on se rend d’une rive « de départ » à la rive « d’arri­vée ». Conciliatrice en appa­rence, cette repré­sen­ta­tion ne risque t-elle pas de favo­ri­ser l’ins­tru­men­ta­li­sa­tion iden­ti­taire des lan­gues ? La tra­duc­tion est-elle un moyen de bâtir des arches de concorde ou bien de sécu­ri­ser des tracés de fron­tiè­res ? Les lan­gues sem­blent, en effet, som­mées d’assu­rer une ligne de par­tage entre « soi » et « l’étranger », de pré­fé­rence en épousant les fron­tiè­res des états nations. La méta­phore du pont pré­serve de ras­su­ran­tes oppo­si­tions et garan­tit des dua­li­tés pra­ti­ques, mais elle tend à esca­mo­ter les rup­tu­res lan­ga­giè­res ou, pire encore, à les conso­li­der en objets théo­ri­ques. Dans un contexte de « débat » sur « l’iden­tité natio­nale » et de réta­blis­se­ment des fron­tiè­res euro­péen­nes, il y a peut-être une forme d’urgence à modi­fier cette repré­sen­ta­tion de l’acte de tra­duire. Sitôt dis­si­pée l’illu­sion du pont, on s’aper­çoit que la tra­duc­tion ne se réduit pas à un pas­sage ni à un trans­fert d’une langue source vers une langue cible. Elle semble plutôt réac­tua­li­ser, à un autre point du temps, le bat­te­ment d’une énonciation dont l’ori­gine étrangère est la marque d’une désas­su­rance, d’une incer­ti­tude, car ce bat­te­ment ouvre une brèche dans les lan­gues, dévoile leurs stra­ti­fi­ca­tions et leurs lignes de faille. Il est impos­si­ble, dès lors, de conce­voir « la langue » comme une entité stable et indi­vi­si­ble. « Traduire sans papiers », ce n’est pas cher­cher l’équivalent lin­guis­ti­que de cette expres­sion en anglais ou en inu­q­ti­kut : c’est se donner pour tâche de penser la tra­duc­tion dans sa dimen­sion la plus sub­ver­sive de mise en crise des iden­ti­tés. Résolument inter­na­tio­nal et trans­dis­ci­pli­naire, ce col­lo­que est ouvert à de mul­ti­ples pro­po­si­tions. Parmi les pistes pos­si­bles, on peut men­tion­ner de manière non exhaus­tive :

− L’ana­lyse des mar­ques spé­ci­fi­ques du texte tra­duit. Qu’est-ce qu’une énonciation tra­dui­sante ? L’examen concret des textes est néces­saire pour rame­ner la théo­rie de la tra­duc­tion à sa nature d’expé­rience : il s’agit d’élaborer une véri­ta­ble pensée-pra­ti­que, seule à même de rendre compte de l’évènement qu’est la tra­duc­tion. Ramenée à l’échelle micro­sco­pi­que des indi­ces de l’énonciation, la dis­tinc­tion entre texte « ori­gi­nal » et texte tra­duit s’avère épineuse. Qu’en est-il des cas limi­tes qui sem­blent rele­ver d’une téra­to­lo­gie de la tra­duc­tion : pseudo-tra­duc­tions, textes faus­se­ment bilin­gues, tra­duc­tions sans ori­gi­naux ou encore textes simul­ta­né­ment sour­ces et cibles ?

− Comment lit-on un texte tra­duit ? C’est à dire, indis­so­cia­ble­ment, à qui s’adresse t-il et com­ment ? Où situer l’ins­tance d’énonciation d’une tra­duc­tion ? Vient-elle s’ajou­ter ou bien se sub­sti­tuer à l’énonciateur ini­tial ? La situa­tion du tra­duc­teur n’est pas sans évoquer le texte de Gayatri Spivak, Can the Subaltern Speak ? Y a t-il un risque d’usur­pa­tion, de parole souf­flée en tra­duc­tion ? D’autres appro­ches des textes, comme celle de l’anthro­po­lo­gie esquis­sée par Karin Barber, nous per­met­tent d’avan­cer dans cette inter­ro­ga­tion.

− L’explo­ra­tion de l’his­to­ri­cité des tra­duc­tions. La tra­duc­tion est fon­da­men­ta­le­ment intem­pes­tive. Elle donne le mou­ve­ment des tra­di­tions et en accom­pa­gne la déhis­cence. Il ne s’agit pas de lisser le deve­nir dia­chro­ni­que de la tra­duc­tion mais de loca­li­ser les téles­co­pa­ges entre les textes et entre les pra­ti­ques. Le « contexte » semble rester exté­rieur au texte comme le ferait un conte­nant neutre. Dans quels termes saisir les cir­cons­tan­ces qui par­ti­ci­pent de la trame du texte, de son grain et de la manière dont il s’adresse à ses coénon­cia­teurs ? Peut-on mon­trer que le court-cir­cuit de la tra­duc­tion rend brus­que­ment lisi­bles les cir­cons­tan­ces par­ti­cu­liè­res du texte de départ ?

− Les poli­ti­ques lin­guis­ti­ques. Les événements de tra­duc­tions ne sont pas indé­pen­dants de leurs condi­tions de pos­si­bi­lité - déci­sions éditoriales, moyens finan­ciers, etc. D’ordi­naire, l’impor­tance octroyée à la tra­duc­tion résulte des poli­ti­ques lin­guis­ti­ques. Pourrait-on, à l’inverse, ima­gi­ner d’autres formes de poli­ti­ques à partir de la tra­duc­tion ? Envisagé selon cette pers­pec­tive, l’intra­dui­si­ble se déleste de sa dimen­sion méta­phy­si­que pour appa­raî­tre sous un autre jour : ne donne t-il pas à lire une forme de résis­tance ?

Les pro­po­si­tions de com­mu­ni­ca­tion sont à envoyer à day­re@o­range.fr et à myriam.suchet@ens-lyon.fr avant le 30 jan­vier 2012

Call for papers :

According to the Unesco, “trans­la­tion pro­mo­tes unders­tan­ding bet­ween the people of the world and co-ope­ra­tion among nations.” Translation is usually des­cri­bed as a form of brid­ging that links a “source lan­guage” to a “target tongue,” as if the issue consis­ted in pas­sing from one shore to ano­ther. Such an image contri­bu­tes to redu­cing lan­gua­ges to mere vec­tors of iden­ti­ties. Is trans­la­tion really a way of buil­ding lines of agree­ment, or is it rather a way of esta­bli­shing and streng­the­ning bor­ders ? Languages are requi­red to sepa­rate what is “ours” from what is “foreign” and in doing so, they echo and confirm natio­nal bor­ders. The bridge meta­phor main­tains reas­su­ring and prac­ti­cal oppo­si­tions, also because it conceals speech acts and dis­cur­sive gaps, and tends to trans­form these gaps into esta­bli­shed theo­re­ti­cal objects. Given the contem­po­rary deba­tes over “natio­nal iden­tity” and the clo­sing of European bor­ders, it may well be urgent to modify such a repre­sen­ta­tion of the act of trans­la­tion. Translation should per­haps not be consi­de­red as a trans­fer from a source lan­guage to a target lan­guage, but rather as a new enact­ment of a speech act that has pre­viously occur­red. The speech act as such makes every single tongue inse­cure, be it foreign or fami­liar, in the sense that it opens up a whole range of contexts, strata, faults and gaps, which make it impos­si­ble to conceive any “tongue” as a stable and homo­ge­neous entity. The idea of “Illegal Translation,” as in the phrase “ille­gal immi­grants,” invi­tes us to explore the most sub­ver­sive aspects of trans­la­tion as they are linked to the crisis that occurs within every iden­tity, and that dis­pla­ces the sense of iden­tity itself. We would like to open this inter­na­tio­nal and inter­dis­ci­pli­nary confe­rence to dif­fe­rent pro­po­sals. Among the many pos­si­ble pers­pec­ti­ves, let us men­tion but a few – without clo­sing the list :

− Historicity and trans­la­tion. Translation, as a form of obli­que jud­ge­ment, is in some sense always ille­gal. Translation is unti­mely : it opens the way to trans­mis­sion ; it reo­pens forms that have been tra­di­tio­nally esta­bli­shed and the­re­fore accom­pa­nies their dehis­cence. Translating is always retrans­la­ting. Our aim is not to consi­der a dia­chro­nic move­ment of trans­la­tion that would result in pro­du­cing a smooth tra­di­tion or his­tory, but rather to loca­lize moments in which esta­bli­shed texts and contem­po­rary or re-enac­ted prac­ti­ces clash with one ano­ther. Because it implies a form of inter­pre­tive crisis within the act of re-enact­ment, trans­la­tion pro­vi­des a form of cri­ti­cal breach, which may be consi­de­red as ille­gal defor­ma­tion of the ori­gi­nal, or on the contrary as a judg­men­tal re-for­ma­tion. Both these forms, de-for­ma­tions or re-for­ma­tions are likely to reveal the his­tory of the ori­gi­nal, and imply a point of view, some form of jud­ge­ment on the ori­gi­nal itself.

− How do we read a trans­la­tion ? What are the spe­ci­fic marks of a trans­la­ted text ? It is only through the detai­led enun­cia­tion of a given text that we are likely to grasp trans­la­tion as an event. The close-rea­ding of trans­la­tions is requi­red to ela­bo­rate a theory that will ack­now­ledge the fact that trans­la­ting is essen­tially a prac­ti­cal expe­rience, a prac­ti­cal re-enact­ment of a speech act. Writing a trans­la­tion is a spe­ci­fic act. To whom is the trans­la­tion des­ti­ned ? and how is it given as such to the reader ? How is it pos­si­ble to situate its sender ? Does the spe­ci­fic sender-pro­du­cer of a trans­la­tion redu­pli­cate the ini­tial spea­ker/nar­ra­tor, or does s-he replace him or her ? and how ? How does the text reveal or mask the risks of usur­pa­tion contai­ned in trans­la­tion ? How is the “dif­fe­rence and repe­ti­tion” of trans­la­tion ins­cri­bed ? The “anthro­po­logy of texts” deve­lo­ped by Karin Barber might help to address this issue. Gayatri Spivak’s essay, Can the Subaltern Speak ? invol­ves the ques­tion : “can the subal­tern stop trans­la­ting ? And how ?”. Are lin­guis­tic poli­cies pos­si­ble without taking into account the ques­tion of the Untranslatable ? Events of trans­la­tion are made pos­si­ble by cer­tain cir­cum­stan­ces – edi­to­rial pro­grams, finan­cial sub­si­dies, etc. The impor­tance of trans­la­tion usually relies on poli­ti­cal deci­sions. It may be inte­res­ting to address this issue the other way around, and to ima­gine lin­guis­tic poli­cies from a mul­ti­lin­gual and trans­la­tio­nal pers­pec­tive ? One of the first conse­quen­ces of such a “trans­la­tio­nal turn” in the concep­tion of lan­gua­ges would be to aban­don the meta­phy­si­cal notion of the “untrans­la­ta­ble” and to favour a prag­ma­tic approach of idio­ma­tic varia­tions and diver­si­ties within any form of lan­guage and speech act. “Untranslatability” is per­haps the form of inner resis­tance that lan­guage esta­bli­shes within its own cons­ti­tu­tive move­ment and poetic varia­bi­lity.

Proposals for papers are to be sent to day­re@o­range.fr and to myriam.suchet@ens-lyon.fr before the 30th of January

Invités d’honneurs / keynote speakers :

Trois confé­ren­ces plé­niè­res seront don­nées (liste non close à ce jour) par Emily Apter, Naoki Sakai et Sherry Simon.

Organisation générale :

Outre les com­mu­ni­ca­tions scien­ti­fi­ques indi­vi­duel­les d’un format de 20 minu­tes sui­vies de 10 minu­tes de ques­tions, se tien­dront des ate­liers de tra­vail col­lec­tif autour d’une pro­blé­ma­ti­que spé­ci­fi­que dans une langue au choix des par­ti­ci­pants. Nos réflexions seront accom­pa­gnées de deux inter­ven­tions artis­ti­ques : une mise en scène de Jean Mouchard à partir d’un scé­na­rio du cinéaste ira­nien Javad Zeiny et une lec­ture croi­sée de textes poé­ti­ques en tra­duc­tion par Pierre Joris et Habib Tengour.

Comité scientifique :

Abecassis Frédéric, Maître de confé­ren­ces en his­toire contem­po­raine à l’ENS, membre du Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes (LARHRA) spé­cia­lisé en his­toire moderne et contem­po­raine

Coquio Catherine, Professeure de lit­té­ra­ture com­pa­rée à Paris 8, Présidente de l’Association Internationale de Recherches sur les Crimes contre l’Humanité et les Génocides

Dayre Eric, Professeur en lit­té­ra­ture com­pa­rée à l’ENS-Lyon, direc­teur du Centre d’Etudes et de Recherches Comparées sur la Création (CERCC),

Godeau Florence, Professeure de Littérature géné­rale et com­pa­rée à Lyon 3

Poulin Isabelle, Professeure de Littérature com­pa­rée à l’Université Michel de Montaigne de Bordeaux 3

Suchet Myriam, ATER en lit­té­ra­ture com­pa­rée à l’ENS-Lyon, membre du CERCC